Suite à l’annonce de l’actuelle titulaire du poste, Michelle Bachelet, de se retirer, un nouveau Haut-Commissaire des Nations unies (ONU) aux droits de l’homme doit être nommé. Mme Bachelet a été accusée de minimiser les critiques en matière de droits humains et d’essayer d négocier avec les États qui violent ces droits. Sa récente visite en Chine a été dénoncée comme étant orchestrée par le gouvernement chinois. À l’avenir, l’ONU devrait s’entretenir avec la société civile concernant le Haut-Commissaire qu’elle souhaite et nommer, dans le cadre d’un processus ouvert et transparent, un défenseur expérimenté des droits humains plutôt qu’un diplomate de carrière ou un politicien.

Le Haut-Commissaire des Nations unies  aux droits de l’homme est à la tête du système des droits humains de l’ONU. Il s’agit d’un rôle crucial pour les victimes de violations des droits humains et les nombreux militants de la société civile qui comptent sur le système des Nations unies pour établir et appliquer des normes en matière de droits humains, surveiller le bilan des États en matière de respect des droits humains et demander des comptes aux auteurs de violations.

Or, ce poste vient de se libérer. En juin, l’actuelle Haut-Commissaire, l’ancienne présidente chilienne Michelle Bachelet, a annoncé qu’elle ne briguerait pas un second mandat à l’expiration de son mandat actuel, en août.

Son annonce n’est peut-être pas si surprenante, étant donné que personne n’a accompli deux mandats successifs à ce poste. Les Haut-Commissaires se retrouvent souvent au centre d’une tempête, essayant de trouver des compromis entre le respect des droits, le soutien des États puissants qui ont beaucoup d’influence et le respect de la culture de prudence des Nations unies. En fin de compte, ils ne peuvent satisfaire personne : ils se révèlent être trop timides et prudents aux yeux de la société civile et trop critiques pour les États qui s’attendent à rester impunis en cas de violation des droits.

Ce n’est pas la première fois que l’on reproche à Mme Bachelet de minimiser les critiques relatives aux droits humains. Récemment encore, sa visite en Chine a suscité une grande controverse. Elle souhaitait depuis longtemps se rendre en Chine, toutefois, son séjour, qui a eu lieu en mai, a été soigneusement mis en scène par l’État chinois.

Si Mme Bachelet a pu se rendre au Xinjiang, théâtre d’une vaste campagne de violations des droits humains, elle n’a pu s’entretenir avec aucune des quelqu’un million de personnes détenues dans la région, ni avec leurs familles. Les critiques officielles à l’encontre des violations des droits humains commises par la Chine ont été limitées, et la visite de Mme Bachelet a notamment débouché sur la conclusion d’un accord pour organiser une réunion annuelle sur les droits humains avec le gouvernement chinois, dont la mise en œuvre pratique doit encore être définie. Entre-temps, le gouvernement chinois s’est empressé d’instrumentaliser la visite à des fins de relations publiques et de désinformation.

Les groupes de défense des droits humains ont dénoncé la visite comme une tentative de camouflage des violations des droits humains, qui n’a fait que permettre au gouvernement chinois de se positionner en bon citoyen international. Beaucoup ont douté de l’idée implicite selon laquelle le système des droits humains des Nations unies est en mesure de négocier avec un régime aussi autoritaire et de lui arracher des concessions. Mme Bachelet a également été accusée d’avoir retardé à plusieurs reprises le rapport de son bureau sur les violations des droits humains au Xinjiang.

Qualifications clés pour le poste

Pour l’avenir, il est temps de réfléchir à la prochaine personne qui pourrait occuper le poste. La situation est préoccupante, car il reste peu de temps à l’ONU pour trouver et nommer un successeur à Mme Bachelet. Le processus de sélection doit être rapide et efficace, mais également inclusif.

Le risque est simple : le processus de sélection pourrait donner lieu à la nomination précipitée d’un candidat que certains États accepteront parce que le candidat en question ne remettra pas en question certaines de leurs pratiques douteuses en matière de droits humains.

Pour éviter ce scénario, la société civile doit être pleinement impliquée. Les candidats devraient être interrogés par la société civile. Les critères de nomination devraient être rendus publics et soumis à un examen critique.

La société civile a entamé sa propre réflexion quant aux qualités que doit avoir le candidat idéal. Avant tout, le titulaire du poste doit être un défenseur audacieux des droits humains qui promet de rester indépendant vis-à-vis des États et de ne pas craindre de contrarier les États qui bafouent les droits humains, ou de ne pas respecter les subtilités bureaucratiques de l’ONU. Le ou la nominé(e) devrait être une personnalité publique et un leader prêt à faire parler de lui ou d’elle si nécessaire.

Concrètement, il faudrait des candidats disposant d’un solide bagage en droit international relatif aux droits humains, ce qui est essentiel à une époque où plusieurs États réaffirment des concepts étriqués de souveraineté nationale comme primant sur des normes internationales établies de longue date. Le système des Nations unies doit être mieux à même de défendre le droit international contre cette progression insidieuse.

Le candidat retenu devrait également avoir une expérience avérée en matière de défense des droits humains et avec les victimes de violations des droits humains. Le candidat doit être pleinement engagé en faveur de la justice sociale et de la défense et de l’avancement des droits des groupes exclus qui sont les plus attaqués – notamment les femmes, les personnes LGBTQI+, les Noirs, les peuples indigènes, les migrants et les réfugiés, ainsi que les défenseurs de l’environnement. Il devra toujours être du côté de ceux qui subissent des violations des droits, agissant un peu comme un représentant mondial des victimes.

Le candidat devrait se montrer ouvert et honnête dans l’exercice de ses fonctions, et être disposé à travailler avec la société civile et à écouter les critiques.

La personne sélectionnée doit s’efforcer d’intégrer les droits humains dans toutes les activités de l’ONU, y compris dans ses travaux sur la paix et la sécurité, le développement durable et le changement climatique. Elle doit étendre le mandat du bureau, actuellement sous-utilisé, afin d’agir sur les signes d’alerte précoce des urgences en matière de droits humains et de les porter à l’attention d’autres parties de l’ONU pour aider à prévenir les crises, d’autant plus que le Conseil de sécurité de l’ONU est souvent dans l’impasse. Elle devrait défendre les titulaires d’autres mandats et experts spéciaux des Nations unies en matière de droits humains et faire pression pour qu’ils puissent effectuer des visites véritablement libres dans les États et examiner quels droits y sont attaqués.

Bien que les compétences diplomatiques soient importantes, le prochain ou la prochaine Haut-Commissaire devra éviter les négociations et les compromis en coulisses, qui sont assez courant chez de nombreux diplomates ou politiciens de carrière. Il ne s’agit pas d’un rôle technocratique. Il s’agit de faire preuve de leadership moral et de prendre position. Il ou elle ne devrait pas essayer de négocier avec des États comme la Chine, mais prendre l’initiative de les condamner.

Un moment décisif

La société civile demande également que le titulaire du poste n’ait qu’un seul mandat. En principe, cela ne devrait pas être problématique, étant donné que la plupart des Haut-Commissaires se retirent après leur premier mandat. La limite d’un seul mandat permettrait d’éviter que les titulaires ne subissent des pressions de la part d’États puissants et ne fassent des compromis dans l’espoir d’obtenir un second mandat.

Il s’agit d’un moment potentiellement décisif. La nécessité d’élire un Haut-Commissaire n’a jamais été aussi grande. En effet, on n’a jamais autant porté atteinte aux droits humains depuis la création de l’ONU. Concernant les principaux droits civiques – les droits d’association, de réunion pacifique et d’expression – la situation mondiale se dégrade d’année en année. Dans le monde entier, 117 des 197 pays et territoires suivis par le CIVICUS Monitor connaissent aujourd’hui des violations graves de ces droits, et seule une infime partie de la population mondiale ­- un peu plus de 3 % – vit dans des pays où les droits civiques sont habituellement respectés.

Si les demandes de la société civile ne sont pas prises en compte, le risque est que le poste devienne insignifiant, compromis et détaché de son devoir moral qui devrait pourtant l’animer.

Cette nomination intervient à un moment où la priorité accordée par l’ONU aux droits humains est remise en question. Le Secrétaire général de l’ONU a donné espoir à la société civile en 2020 en publiant son Appel à l’action pour les droits humains, dans lequel il promettait de placer les droits humains au cœur de son travail et de celui de l’ONU. Cet appel s’est accompagné de lignes directrices à l’échelle de l’ONU sur l’espace civique. Toutefois, l’impact de cette initiative louable n’est pas clair, et il est possible qu’elle ait été reléguée au second plan au profit d’autres événements, tels que la pandémie de COVID-19, la guerre de la Russie contre l’Ukraine et la crise alimentaire mondiale qui s’aggrave, qui exigent la prise de mesures urgentes

Le rapport « Notre programme commun » sur la réforme de l’ONU, publié l’année dernière, a déçu de nombreux membres de la société civile parce qu’il n’allait pas assez loin et ignorait la plupart des appels de la société civile à rendre l’ONU plus accessible et plus démocratique.

Il est temps que l’ONU montre qu’elle prend les droits humains au sérieux et qu’elle garantisse que ces droits sont au cœur de son travail. Cela signifie également qu’elle doit repenser son financement actuel : le système des droits humains de l’ONU dispose peut-être de mécanismes bien développés, mais il est chroniquement sous-financé. Le domaine des droits humains ne représente qu’un peu plus de 4 % du budget ordinaire de l’ONU, alors qu’il fait partie des trois piliers de l’Organisation, avec le développement, la paix et la sécurité, de sorte que le travail dépend en grande partie de contributions volontaires, qui ne sont jamais suffisantes

Le ou la prochain(e) Haut(e)-Commissaire doit faire pression pour faire progresser le financement et la concrétisation de l’Appel à l’action pour les droits humains. Pour y parvenir, l’engagement de l’ONU en faveur des droits humains doit d’abord se traduire par la nomination d’un ou une défenseur(e) courageux/se des droits humains à sa plus haute fonction dans ce domaine.

NOS APPELS À L’ACTION

  • L’ONU devrait coopérer avec la société civile sur le processus de nomination d’un nouveau Haut-Commissaire aux droits de l’homme, notamment en communiquant les critères de sélection et en encourageant le dialogue de la société civile avec les candidats potentiels.
  • Le ou la nouvelle Haut(e)-Commissaire devrait avoir une expérience solide et active dans la défense et le plaidoyer pour les droits humains.
  • L’ONU doit s’engager à reconsidérer le financement de ses mécanismes de défense des droits humains.

Photo de couverture par Jean-Marc Ferré/ONU