Récemment, le Festival de film queer en Tunisie a représenté une source d’espoir aux personnes LGBTQI+ du pays, qui subissent une augmentation d’attaques dans le contexte pandémique. La concentration du pouvoir par le président Kais Saied, en vertu de sa nouvelle Constitution, restreint davantage la capacité de la société civile LGBTQI+ à s’organiser et à se rendre visible pour faire face à l’homophobie. Saied a également encouragé l’homophobie par ses discours de haine. Dans ce contexte, les événements autoorganisés comme le festival de film, où les gens peuvent se rassembler, être visibles et développer des structures de solidarité et de soutien, sont plus vitaux que jamais.

Après deux ans d’interruption à cause de la pandémie, le Festival du film queer de Mawjoudina fait son retour en Tunisien septembre. Cette troisième édition a été l’occasion de célébrer la convivialité, la visibilité et la résilience. C’était également une opportunité de commémoration et un moment de rassemblement de forces pour les batailles à venir. Pour les personnes LGBTQI+ en Tunisie, la pandémie a représenté un retour à l’isolement, au stress mental et une augmentation de la menace de violence.

Le festival s’est déroulé pendant une période de bouleversements politiques à la suite de la prise de pouvoir du président Kais Saied en juillet 2021. Après avoir dissous le parlement et démis le premier ministre, Saied a fait adopter par référendum, en juillet 2022, une nouvelle constitution qui étendait considérablement ses pouvoirs.

Dans le cadre de la nouvelle constitution, les personnes LGBTQI+ sont doublement privées de leurs droits: d’une part en tant que citoyens soumis à un gouvernement arbitraire, et d’autre part en tant que personnes rendues plus vulnérables à des attaques en raison de leur identité de genre et de leur orientation sexuelle, étant donné que la Constitution est désormais conçue en fonction d’objectifs religieux.

Un espace d’expression

Compte tenu de ce contexte peu prometteur, le fait même que le festival se soit déroulé est une véritable victoire pour les activistes LGBTQI+ tunisiens. Le festival a été tenu du 22 au 25 septembre dans la capitale, Tunis. Il a été organisé par Mawjoudin (« nous existons » en arabe), une organisation de la société civile (OSC) tunisienne LGBTQI+. Récemment, Mawjoudin a présenté la toute première pièce de théâtre LGBTQI+ de Tunisie, Flagranti (« en flagrant délit »), qui visait à mettre en lumière les problèmes sociétaux et juridiques qui rendent difficile la vie des tunisiens LGBTQI+.

Lorsque les dirigeants politiques adoptent un discours anti-droits et que les droits et l’espace pour les défendre sont restreints, les gens peuvent s’autonomiser et développer des espaces sûrs qui leur permettent de se reconnaître et comprendre qu’ils ne sont pas seuls.

Le festival comprenait des projections, des ateliers, des spectacles artistiques et des tables rondes qui ont permis aux personnes LGBTQI+ de nouer des liens, de partager des expériences, de gagner en visibilité et de construire une solidarité. Cet événement a également intégré une approche intersectionnelle à travers la promotion de films réalisés par des artistes venant du Sud global et s’identifiant comme noirs, autochtones ou personnes racialisées.

Compte tenu du contexte difficile, les organisateurs ont pris toutes les précautions nécessaires pour protéger les participants, en gardant un profil bas et  révélant les adresses des lieux uniquement aux personnes inscrites.

Un endroit dangereux pour les personnes LGBTQI+

La région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord est parmi les régions les moins accueillantes pour les personnes homosexuelles et transgenres. En effet dans la plupart des pays de la région, les actes homosexuels consensuels entre adultes sont criminalisés et, dans certains cas, les lois imposent de lourdes peines de prison, voire la peine de mort, aux hommes reconnus coupables de pratiques homosexuelles.

Bien qu’il ne s’agisse en aucun cas du pays le plus hostile de la région pour les personnes LGBTQI+, en Tunisie les actes homosexuels sont criminalisés et peuvent être punis d’un maximum de trois ans de prison. Aucune garantie ni protection n’est mise en place contre la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre.

La Tunisie, n’obtenant que 18 points sur 100, est arrivée en 169e place sur 198 dans l’index de l’égalité de Equaldex, qui classe les pays en fonction de leur ouverture aux personnes LGBTQI+. Le score de la Tunisie concernant l’évaluation de l’opinion publique est encore pire que celui concernant la reconnaissance des droits subjectifs, alors même que quasiment aucun droit subjectif n’est reconnu. Cela révèle une homophobie profondément ancrée dans la société. La haine trouve aussi un soutien au plus haut niveau : pendant sa campagne présidentielle en 2019, Saied a qualifié les personnes LGBTQI+ de « déviants ».

Victor Madrigal-Borloz, l’expert indépendant des Nations Unies chargé de la question de la protection contre la violence et la discrimination liées à l’orientation sexuelle et l’identité de genre, s’est rendu en Tunisie en 2021. Il a constaté qu’en plus d’être criminalisées, les personnes LGBTQI+ sont confrontées à « une violence généralisée, y compris des menaces de mort et de viol », et que le fait d’être visibles est perçu par beaucoup comme une transgression de l’ordre social et des rôles de genre traditionnellement attribués.

Répression exercée par l’État

Ces dernières années, les personnes LGBTQI+ ont été ciblées par les forces de sécurité tunisiennes non seulement en raison de leur identité, mais aussi en raison de leur activisme. En effet, les autorités se mobilisent actuellement pour restreindre l’espace civique.

Afin de protester contre le chômage, la corruption et la gestion de la pandémie par le gouvernement, les Tunisiens sont descendus dans la rue en janvier 2021 à l’occasion du dixième anniversaire de la révolution. Mais lors de cette manifestation la police a identifié les activistes LGBTQI+ et les a arrêté, utilisant des drones de surveillance pour ensuite diffuser les images aériennes sur les réseaux sociaux. Des manifestants LGBTQI+ ont été victimes de doxing, à savoir la publication de leurs informations personnelles, les exposant potentiellement à du danger en révélant leur orientation sexuelle. De plus, lors de ces arrestations beaucoup ont été agressés physiquement, menacés de viol et se sont vu refuser l’accès à un avocat.

Parmi les manifestants qui ont été étroitement surveillés et ciblés par les forces de sécurité figure la militante LGBTQI+ Rania Amdouni, membre de l’Association tunisienne pour la justice et l’égalité (Damj). Rania a été arrêtée le 27 février 2021 alors qu’elle se rendait dans un poste de police avec son avocat pour déposer une plainte contre des agents des forces de sécurité qui l’intimidaient en ligne. À peine une semaine plus tard, elle a été jugée et condamnée à six mois de prison pour « violation de la morale générale », « insulte à l’encontre d’un employé du gouvernement » et « ivresse dans un lieu public ». Après avoir été libérée par la Cour d’appel, elle a demandé l’asile en France.

Alors que les manifestations se sont calmées, les violences contre les militants LGBTQI+ se prolongeaient. En octobre 2021, le président de Damj, Badr Baabou, a été brutalement agressé par deux policiers, et non pas pour la première fois : avant cela il avait déjà dû subir ce type d’attaque à maintes reprises.

Se rendre visible pour lutter contre la haine

Le cyberharcèlement des personnes LGBTQI+ était déjà courant avant la pandémie, mais il s’est intensifié pendant le confinement, en Tunisie comme ailleurs dans la région. On assiste à une multiplication des cas de personnes homosexuelles ciblées sur les applications LGBTQI+ de rencontre et exposées sur les réseaux sociaux, ainsi que des contenus homophobes sur les plateformes de réseaux sociaux et les applications de messagerie.

La haine en ligne s’est souvent traduite par des actes de violence. Mais comme les institutions étatiques reproduisent les préjugés sociaux, les autorités n’ont offert aucune protection aux personnes attaquées. Les seules mesures prises ont provenu d’autres pays : un influenceur tunisien basé au Royaume-Uni, ouvertement anti-LGBTQI+, a été arrêté par la police britannique pour avoir diffusé des discours de haine et incité à la violence contre les Tunisiens LGBTQI+ sur les réseaux sociaux. Ce manque d’aide officielle rend d’autant plus vitale l’existence d’initiatives autoorganisées telles que le Festival du film queer de Mawjoudin. Lorsque les dirigeants politiques adoptent un discours anti-droits et que les droits et l’espace pour les défendre sont restreints, les gens peuvent s’autonomiser et développer des espaces sûrs qui leur permettent de se reconnaître et de comprendre qu’ils ne sont pas seuls. La solidarité permet de reprendre l’espace public et de faire valoir ses droits.

Il y a dix ans, une révolution politique a permis aux Tunisiens LGBTQI+ de s’organiser, de s’exprimer et d’agir pour améliorer leurs droits. Maintenant, cette révolution a été trahie par le président Saied. Mais même si le vent a tourné, les personnes LGBTQI+ ont continué à aller de l’avant par tous les moyens possibles, y compris l’art, afin de s’assurer que leurs demandes restent à l’ordre du jour.

NOS APPELS À L’ACTION

  • Le président Kais Saied doit s’engager à garantir la protection des droits fondamentaux des personnes LGBTQI+.
  • La société civile internationale doit soutenir les OSC LGBTQI+ tunisiennes, notamment en les aidant à assurer la sécurité des personnes LGBTQI+.
  • Les donateurs internationaux devraient soutenir les initiatives locales telles que le Festival de film afin de mettre en lumière les réalités de la vie des personnes LGBTQI+.

Photo de couverture par @Mawjoudin/Twitter