Togo : nouvelle répression des revendications pour la démocratie
Les tensions politiques au Togo ont été exacerbées par les récents changements constitutionnels. Désormais, dans le cadre d’un système parlementaire modifié, le président du Conseil des ministres sera élu par le parlement, et non plus par un vote populaire. Ces réformes permettront à Faure Gnassingbé de prolonger son règne, qu’il a entamé en 2005, date à laquelle il a succédé à son père, arrivé au pouvoir par un coup d’État en 1967. Le gouvernement a interdit les manifestations contre les changements constitutionnels, perturbé les rassemblements de la société civile, arrêté et détenu arbitrairement des manifestants et criminalisé les journalistes qui ont couvert la contestation. Les institutions régionales et internationales doivent cesser de fermer les yeux.
Grâce à sa dernière manœuvre constitutionnelle, le Président togolais Faure Gnassingbé pourrait conserver le pouvoir aussi longtemps qu’il le souhaite. Pour ce faire, il a seulement besoin que la communauté internationale continue de détourner le regard alors qu’il s’emploie à réprimer les aspirations démocratiques intérieures. En poste depuis vingt ans, il a hérité de la présidence après son père, qui s’en était emparé lors d’un coup d’État militaire en 1967. La dynastie a maintenant près de 60 ans.
Le 25 mars, l’Assemblée nationale du Togo a adopté une nouvelle Constitution qui établit un régime parlementaire. Ce système remplace le rôle d’un Président élu au suffrage universel direct, dont le mandat est limité, par celui d’un Premier ministre tout-puissant, désigné par le parlement pour six ans, renouvelables tant qu’il conserve le soutien de la majorité. Les amendements, votés par une Assemblée largement acquise à la cause de M. Gnassingbé, n’ont pas été soumis à un référendum. Leur adoption s’est faite dans un climat politique déjà tendu, marqué par les reports successifs des élections législatives et régionales, alors que l’Assemblée débattait des changements constitutionnels.
La société civile et les partis d’opposition y ont vu un coup d’État constitutionnel et sont descendus dans la rue pour protester. La réponse répressive habituelle n’a pas tardé à suivre.
Autoritarisme et élections
Le Togo organise des élections multipartites depuis 1992, mais celles-ci sont systématiquement entachées de fraudes massives. Les partis d’opposition, bien que tolérés, ne peuvent pas rivaliser équitablement : Ils sont empêchés de faire campagne, leurs rassemblements sont réprimés par la violence et les arrestations, et leurs dirigeants sont criminalisés. Nombre d’entre eux ont été contraints à l’exil. Les véritables partis d’opposition sont totalement absents du parlement.
Si la démocratie repose sur la possibilité pour un gouvernement de perdre les élections, le Togo en est bien éloigné. L’Union pour la République (UNIR) contrôle fermement le pays. Elle utilise les forces de sécurité pour intimider l’opposition et faire taire les dissidents, et s’appuie sur le clientélisme pour acheter la loyauté et recueillir des voix. Bien que le pays organise régulièrement des élections, l’organisme chargé de les organiser et de les superviser, la Commission électorale nationale indépendante, manque cruellement d’indépendance. La moitié de ses membres sont censés être nommés par l’opposition, mais en 2020, seuls deux de ses 19 membres n’appartenaient pas à UNIR. Quant à la Cour constitutionnelle, chargée de vérifier les résultats des élections, elle est composée d’alliés de Gnassingbé.
L’opposition n’a aucune chance de rivaliser.
Un demi-siècle de règne dynastique
Porté au pouvoir par un coup d’État militaire de 1967, Gnassingbé Eyadéma a instauré un État à parti unique, son Rassemblement du peuple togolais étant le seul parti politique légal. En 1986, lors de la dernière élection sous ce système, il a été réélu avec 100% des voix, pour un taux de participation invraisemblable de 99%.
En 1992, le Togo est officiellement devenu une démocratie multipartite, mais cette évolution est restée largement symbolique. En pratique, le pays est demeuré une autocratie, dissimulée derrière un mince vernis démocratique, marquée par des élections systématiquement frauduleuses, des manipulations constitutionnelles et des épisodes de répression violente.
Au cours des deux décennies suivantes, les élections ont été truquées de sorte qu’aucun candidat de l’opposition n’a jamais eu la moindre chance de victoire. En 1993, lors des premières élections multipartites, les résultats ressemblaient étrangement aux précédents. Le gouvernement tâtait clairement le terrain et ne lâchait que très peu de lest. Les résultats annoncés étaient incohérents et déconnectés de la réalité, avec un Président réélu à 96% des voix.
Les élections suivantes, en 1998, ont donné à l’opposition nouvellement formée une plus grande marge de manœuvre, et le Président sortant a obtenu un score relativement faible de 52%. En 2003, face à une opposition plus consolidée, l’Union des forces de changement, il a été crédité de 58% des voix. L’opposition, qui avait effectué son propre décompte, affirmait que les chiffres étaient bien différents et que le Président n’avait en réalité obtenu que 10% des suffrages.
Eyadéma est décédé trois ans avant de pouvoir être réélu en 2008, ouvrant la voie à son fils, Faure, qui a accédé à la présidence dans des conditions extrêmement contestées. Les militaires l’ont nommé Président en février 2005, sous prétexte que l’Assemblée nationale l’avait élu Président, bien qu’il n’occupe pas ce poste au moment du décès de son père. Le Parlement a ensuite modifié la disposition constitutionnelle prévoyant des élections dans un délai de deux mois, permettant ainsi à Faure d’achever le mandat de son père. Mais le tollé international suscité par ce coup d’État constitutionnel a conduit Faure à démissionner, avant de se présenter aux élections d’avril.
La campagne qui a précédé la première élection de Faure a donné le ton des scrutins suivants, caractérisés par l’exclusion de candidats, des obstacles à la campagne de l’opposition et à l’inscription sur les listes électorales, des violences électorales, des fraudes massives et la répression des manifestations postélectorales. Les résultats officiels ont donné 60% des voix à M. Gnassingbé. Il a été réélu en 2010 avec 61%, en 2015 avec 59% et en 2020 avec 71%. A chaque fois, seuls les pays amis ont été autorisés à observer les élections et, comme on pouvait s’y attendre, leurs rapports ont été largement dépourvus d’esprit critique.
Le finaliste de 2020, l’ancien Premier ministre Agbéyomé Kodjo, a accusé le gouvernement de fraude massive et a été arrêté pour s’être déclaré Président légitimement élu ; il a ensuite été libéré avant de s’exiler jusqu’à sa mort en 2024.
En novembre 2023, le gouvernement a reporté les élections législatives et régionales à début 2024. Finalement fixées au 13 avril, M. Gnassingbé les a ensuite repoussées au 20 avril avant de les reporter indéfiniment, invoquant la nécessité d’organiser des consultations sur un changement constitutionnel. En réponse, la société civile et les partis d’opposition ont appelé à manifester du 11 au 13 avril, ce qui a incité le Président à annoncer une nouvelle date – le 29 avril – tout en interdisant les manifestations. Les journalistes étrangers ont été interdits de couvrir le scrutin et les demandes d’observation indépendante ont été rejetées. Sans surprise, le 29 avril, l’UNIR a obtenu 108 sièges sur 113.
Manipulation constitutionnelle
Jusqu’à récemment, le Togo fonctionnait sous un régime semi-présidentiel, où un Président puissant exerçait jusqu’à deux mandats consécutifs de cinq ans en tant que chef de l’État, tandis qu’un Premier ministre, nommé par le Président, dirigeait le gouvernement. Gnassingbé Eyadéma a aboli la limitation des mandats présidentiels en 2002, et la société civile a longtemps fait pression pour qu’elle soit rétablie. En 2019, lors de son troisième mandat, Faure a modifié la Constitution pour la rétablir. Comme à l’accoutumée, le processus a été opaque, sans consultation et entièrement contrôlé par le parti au pouvoir.
Cependant, le rétablissement de la limitation des mandats ne s’appliquait pas rétroactivement, permettant à M. Gnassingbé de briguer deux mandats supplémentaires. Il a dûment obtenu le premier en 2020, ce qui signifiait que celui qu’il était assuré d’obtenir lors des élections fictives prévues en 2025 aurait été son dernier. D’autres ajustements étaient donc inévitables.
La nouvelle Constitution introduit un nouveau poste exécutif puissant, le président du Conseil des ministres, qui sera élu par l’Assemblée nationale. Ce poste sera attribué à un membre du parti ou de la coalition majoritaire, et jouera le rôle de Premier ministre, supervisant la gestion quotidienne du gouvernement. Ce mandat pourra être prolongé indéfiniment tant que le parti ou la coalition au pouvoir conserve la majorité parlementaire. La nouvelle Constitution maintient un Président de façade avec un mandat de quatre ans, renouvelable une fois, mais le véritable pouvoir exécutif ne sera plus contraint dans le temps, en contradiction avec la réforme de 2019. Il ne serait guère surprenant de voir M. Gnassingbé endosser ce nouveau rôle.
Des voix en première ligne
CIVICUS s’est entretenu au sujet de la situation avec un défenseur togolais des droits humains qui a souhaité garder l’anonymat pour des raisons de sécurité.
Il est essentiel de rétablir l’élection présidentielle directe au suffrage universel, car le système électoral doit véritablement refléter la volonté du peuple. Mais un Président ne devrait pas être autorisé à gouverner indéfiniment. Il est donc également essentiel de réintroduire la limitation du nombre de mandats pour le Président et d’autres responsables clés, afin d’empêcher la concentration du pouvoir et de promouvoir la responsabilité.
En outre, une commission électorale indépendante devrait être mise en place pour restaurer la confiance du public dans un système qui est maintenant perçu comme étant partial, en faveur du parti au pouvoir. Cette commission devrait superviser tous les processus électoraux et veiller à ce qu’ils soient libres, équitables et transparents.
Il est également primordial de garantir à tous les partis politiques un accès égal aux ressources de campagne. Une couverture médiatique et un financement de campagne équitables contribueraient à un processus électoral plus compétitif et plus représentatif. Il est tout aussi important de renforcer les garanties juridiques. Tous les partis devraient être autorisés à fonctionner librement sans ingérence ni crainte de persécution ou de violence de la part des autorités.
Nous devons renforcer la participation civique. Les réformes devraient faciliter la mise en place de plateformes permettant aux organisations de la société civile (OSC) de s’engager dans le débat politique. Nous devons soutenir les mouvements de base en leur fournissant des ressources et des formations pour les aider à mobiliser les citoyens et à les sensibiliser aux principes démocratiques et à leurs droits.
La communauté internationale peut jouer un rôle clé en exerçant des pressions diplomatiques et en soutenant les réformes démocratiques. Les condamnations publiques et les résolutions émanant d’organismes internationaux tels que les Nations unies et l’Union africaine peuvent contribuer à mettre en lumière ces enjeux et à encourager les changements nécessaires. Les organismes et les représentants internationaux devraient engager un dialogue direct avec les responsables togolais pour aborder ces préoccupations.
Ils devraient également soutenir la société civile locale en lui fournissant des fonds, des ressources et des formations. Ce soutien est essentiel pour renforcer la capacité des OSC à défendre la démocratie et les droits humains, ainsi qu’à mobiliser et à responsabiliser la population.
Des mécanismes indépendants de surveillance et de communication de l’information sont essentiels pour évaluer la situation politique, garantir la transparence des prochaines élections et documenter les violations des droits humains. Si les violations se poursuivent, la communauté internationale devrait envisager de sanctionner les principaux responsables et de conditionner l’aide au développement et l’assistance au respect des principes démocratiques et des droits humains. Cela pourrait inciter le gouvernement à entreprendre des réformes significatives.
La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) est également en mesure d’assurer la médiation entre le gouvernement, l’opposition et la société civile locale, afin de promouvoir un environnement plus inclusif et démocratique.
Voici un extrait édité de notre conversation. Lisez l’intégralité de l’entretien (en anglais) ici.
Une répression soutenue
Les manifestations de masse qui ont éclaté en 2017 et 2018 pour protester contre les amendements constitutionnels finalisés en 2019, ont été suivies d’une répression soutenue. Les manifestations ont été dispersées par des tirs à balles réelles, causant plusieurs morts, ainsi que par de nombreuses arrestations, des interdictions de manifester et des restrictions imposées aux médias et à l’internet.
De nouvelles restrictions à la liberté d’expression et de réunion pacifique ont été introduites depuis lors. Elles comprennent l’utilisation de logiciels espions et la criminalisation des journalistes, Loïc Lawson et Anani Sossou figurant parmi les cas les plus notables. Ils ont été arrêtés en novembre 2023 et accusés de diffamation, d’atteinte à l’honneur d’un ministre et d’incitation à la révolte, tout cela en représailles pour quelques tweets.
La répression s’est intensifiée à la suite des manifestations contre le report des élections et les derniers changements constitutionnels. Un autre journaliste a été arrêté et accusé d’infractions graves en mars et le média pour lequel il travaillait a été suspendu en guise de représailles. Les autorités ont interdit plusieurs réunions de l’opposition et de la société civile et ont dispersé les participants qui tentaient de se rassembler.
En février et à nouveau en mars, le gouvernement a interdit le « Café des citoyens » organisé par le Mouvement pour la reconstruction du Togo, au motif qu’il n’avait « aucune base légale ». Avant une conférence de presse tenue le 27 mars dans la capitale, Lomé, par plusieurs OSC et partis d’opposition pour annoncer la création d’une coalition, « Ne touchez pas à ma Constitution », des membres des forces de sécurité auraient intimidé les organisateurs, forçant la conférence de presse à se tenir ailleurs. Au cours de l’événement, les forces de sécurité ont ordonné aux participants de partir, affirmant que la réunion n’était pas autorisée, et ont utilisé des gaz lacrymogènes pour les disperser. Les journalistes auraient été menacés de ne pas filmer les événements.
Les autorités ont également interdit et empêché de se tenir des ateliers de la société civile, comme celui sur la protection des libertés d’association et de réunion pacifique qui s’est tenu le 27 mars à Tsévié, à 30 kilomètres de Lomé. Alors que l’atelier était en cours, une douzaine de gendarmes sont entrés dans la salle et ont ordonné aux participants de quitter les lieux, sous prétexte que la réunion n’était pas autorisée, et ont forcé les organisateurs à leur fournir une liste des participants.
Le 3 avril, neuf membres du parti d’opposition Dynamique Mgr Kpodzro ont été arrêtés à Lomé alors qu’ils sensibilisaient la population aux changements constitutionnels, qu’ils qualifiaient d’illégaux. Trois d’entre eux ont été libérés deux jours plus tard, tandis que les autres ont été placés sous enquête judiciaire pour « troubles graves à l’ordre public ». Ils ont finalement été libérés le 9 avril.
Le 8 avril, le gouvernement a interdit une manifestation contre les changements constitutionnels prévue par un groupe de partis politiques pour les 12 et 13 avril 2024. Il a affirmé que la manifestation risquait de troubler l’ordre public et que les organisateurs n’avaient pas obtenu d’autorisation à temps. La veille, la police avait pris position au rond-point de Bè-Gakpoto, lieu prévu pour le rassemblement.
La pression internationale est nécessaire
La société civile togolaise continue de résister aux coups de force constitutionnels et d’exiger l’instauration d’une véritable démocratie par le biais de campagnes de sensibilisation et de manifestations. Elle a formé un front uni aux côtés des partis politiques démocratiques pour faire entendre sa voix plus fermement. Cependant, compte tenu de sa capacité limitée à influencer un gouvernement qui reste insensible à ses revendications, elle place ses espoirs dans la pression internationale. Elle a déjà déposé des plaintes auprès d’instances régionales telles que la CEDEAO.
En 2022, le Togo a rejoint le Commonwealth, dont la charte fixe des critères d’éligibilité exigeants que le Togo n’a manifestement pas remplis, notamment un « engagement avéré en faveur de la démocratie et des processus démocratiques, y compris des élections libres et équitables et des assemblées législatives représentatives ; l’État de droit et l’indépendance du pouvoir judiciaire… ainsi que la protection des droits humains, de la liberté d’expression et de l’égalité des chances ».
Le Commonwealth, la CEDEAO et d’autres institutions régionales et internationales doivent maintenant prendre au sérieux les valeurs qu’ils prônent. Il est temps d’examiner minutieusement le bilan de leurs membres en matière de démocratie et de droits humains et d’exercer une pression concertée pour encourager les réformes là où elles s’imposent. Ces institutions doivent s’opposer fermement aux tentatives de prises de pouvoir anticonstitutionnelles, y compris au Togo, et œuvrer à la défense de la démocratie en Afrique de l’Ouest, une région où le recul démocratique atteint des niveaux alarmants.
NOS APPELS À L’ACTION
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Le gouvernement togolais devrait s’engager à organiser des élections libres et équitables sous la supervision d’observateurs indépendants.
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La CEDEAO devrait exhorter le gouvernement du Togo à respecter les libertés civiques fondamentales, y compris le droit de manifester.
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Le Commonwealth devrait prendre des mesures concrètes pour soutenir la société civile et préserver l’espace civique au Togo.
Photo de couverture par Emile Kouton/AFP via Getty Images