L’Assemblée Générale des Nations Unies a récemment adopté une résolution historique déclarant que l’accès à un environnement propre, sain et durable est un droit humain universel. Des années de plaidoyer de la société civile ont finalement abouti à cette avancée importante dans la lutte contre les effets du changement climatique, de la pollution et de la perte de biodiversité. Bien que la résolution ne soit pas contraignante, elle devrait promouvoir le renforcement de la réglementation environnementale au niveau national et encourager les gouvernements et les entreprises à rendre des comptes, notamment par le biais de procédures judiciaires. De plus, cette résolution pourra servir de base à la société civile pour plaider pour une convention contraignante sur le droit à un environnement sain.

Le 28 juillet, les États membres de l’ONU ont adopté une résolution inédite reconnaissant comme droit universel l’accès à un environnement propre, sain et durable. L’Assemblée Générale des Nations Unies (AGNU) semble avoir fait un pas en avant décisif pour les droits environnementaux.

Il est remarquable qu’aucun État n’ait voté contre, tandis que 161 ont voté pour. Seuls huit États, tous vivement critiqués pour leur bilan en matière de droits humains (le Belarus, le Cambodge, la Chine, l’Éthiopie, l’Iran, le Kirghizstan, la Russie et la Syrie) se sont abstenus.

La résolution intervient à un moment critique, au milieu de ce qui a été appelé une triple crise planétaire, avec la menace combinée du changement climatique, de la pollution et de la perte de biodiversité.

Les effets du changement climatique, notamment sous la forme de phénomènes météorologiques extrêmes beaucoup plus fréquents, sont de plus en plus évidents. Il devient rapidement de moins en moins probable que l’on puisse éviter une catastrophe en maintenant l’augmentation de la température mondiale à 1,5°C au-dessus des niveaux préindustriels. Parallèlement, la pollution atmosphérique constitue la principale cause de maladie et de mortalité prématurée dans le monde, responsable de plus de neuf millions de décès par an. En même temps, la perte de diversité biologique a un impact direct sur l’approvisionnement alimentaire, l’accès à l’eau potable et la vie durable sur terre. Tous ces éléments constituant une crise mondiale sont intrinsèquement liés et doivent donc être traités simultanément et de toute urgence.

Dans ce contexte, la résolution de l’Assemblée Générale des Nations Unies ne peut qu’être considérée comme une évolution positive avec le potentiel de contribuer à la création d’une dynamique de changement. Il s’agit maintenant de faire en sorte qu’elle soit suivie d’effets. La société civile, qui s’est longtemps mobilisée au niveau international pour faire pression en faveur de la résolution, maintiendra la pression à tous les niveaux pour qu’elle se concrétise.

Un potentiel tournant

La terminologie employée dans la dernière résolution rappelle celle d’une résolution adoptée par le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies (CDH) en octobre 2021, la première fois qu’une entité des Nations Unies a reconnu l’accès à un environnement sain comme un droit. Elle le met en lien avec d’autres droits établis dans le droit international, et reconnaît l’impact négatif des dommages environnementaux sur les personnes et leur capacité à accéder à leurs droits.

La résolution souligne que le changement climatique, l’extractivisme, la pollution, la perte de biodiversité et la mauvaise gestion des déchets constituent des menaces majeures à la jouissance du droit à un environnement sain. Elle présente la coopération multilatérale comme un élément clé de la solution.

Les résolutions de l’AGNU ne sont pas juridiquement contraignantes, mais elles peuvent avoir un effet symbolique puissant, comme en ont témoigné cette année les résolutions de la session spéciale de l’AGNU condamnant l’agression de la Russie contre l’Ukraine. Étant donné qu’il était impossible de faire adopter une résolution contraignante par le Conseil de sécurité des Nations Unies, au sein duquel la Russie dispose d’un droit de veto, cette résolution a été  le moyen de toutefois communiquer une forte désapprobation.

Par la résolution de l’AGNU sur le droit à un environnement propre et sain, les États membres de l’ONU communiquent   l’importance de l’environnement et la nécessité de meilleures normes et pratiques pour améliorer la vie des gens. On peut espérer que cette nouvelle reconnaissance de haut niveau catalyse une plus grande pression en faveur du changement. Ainsi, la société civile pourra en faire un outil puissant pour le plaidoyer en faveur de l’élaboration d’accords internationaux contraignants et de l’intégration des normes mondiales dans les lois et les politiques nationales, ainsi que pour demander des comptes aux gouvernements et aux entreprises, notamment par le biais de litiges environnementaux.

Après les droits civils et politiques et les droits économiques et sociaux, il est temps de consacrer nos droits environnementaux.

VICTORIA LICHET

D’autres résolutions sur des questions environnementales ont eu des effets plus que symboliques : une résolution de l’AGNU adoptée en 2010 sur le droit à l’eau et à l’assainissement a entraîné des changements constitutionnels et juridiques dans des pays comme le Costa Rica, le Mexique et la Slovénie, avec des effets immédiats pour les communautés privées d’accès à l’eau potable.

Cinq décennies de lutte pour décrocher la victoire

Pour la société civile, cette résolution ne constitue qu’une nouvelle étape dans un processus qui dure déjà cinq décennies. La première étape a été franchie lors de la Conférence des Nations Unies sur l’environnement, tenue à Stockholm en 1972 et débouchant sur une déclaration reconnaissant le droit de toute personne à « un environnement dont la qualité lui permettra de vivre dans la dignité et le bien-être ». Il s’agissait du premier document international établissant un lien entre la santé environnementale et le bien-être des personnes, marquant un changement dans la façon dont les préoccupations environnementales étaient comprises.

Des années ont suivi au cours desquelles la société civile a promu l’idée que chacun devrait avoir le droit à un environnement propre, sain et durable, propageant le concept et cherchant à obtenir une reconnaissance plus large. En 2018, un rapport conjoint de l’ancien et de l’actuel rapporteurs spéciaux des Nations Unies pour les droits de l’homme et l’environnement a vivement plaidé pour la reconnaissance du droit à un environnement sain par les Nations Unies. La résolution du CDH d’octobre 2021 a représenté une première grande réussite en ce sens, reconnaissant comme droit universel l’accès à un environnement sain et durable.

Stockholm +50, la conférence organisée en Suède en juin dernier pour commémorer le 50e anniversaire de la réunion de Stockholm de 1972, nous a davantage menés vers la victoire. À Stockholm, les États membres de l’ONU et les parties prenantes ont lancé un appel pour implémenter dix recommandations concrètes visant à accélérer l’action en faveur d’une planète saine pour la prospérité de tous. Un mois plus tard, l’Assemblée Générale des Nations Unies adoptait sa résolution historique.

Quelques 1 350 organisations de la société civile ont soutenu la campagne visant à faire adopter la résolution. En amont de la résolution, les groupes de la société civile ont travaillé pendant des mois pour entrer en contact avec les gouvernements afin de les inciter à voter en sa faveur, et ont mené une campagne sur les médias sociaux appelant les dirigeants mondiaux à agir. Le hashtag #HealthyEnvironmentForAll (#EnvironnementSainPourTous) a recueilli plus de 30 300 messages de soutien.

Au sein de l’ONU, les organisations de la société civile ont travaillé avec un groupe d’États favorables à la résolution, dont des petits États insulaires fortement touchés par le changement climatique, afin de garantir un texte fort qui reflète largement les espoirs et les attentes de la société civile.

Les voix de ceux en première ligne

Victoria Lichet est directrice exécutive de la Global Pact Coalition (Coalition pour un Pacte Mondial). Cette alliance rassemble des organisations de la société civile, des militants, des artistes, des juristes et des scientifiques qui plaident pour l’adoption du Pacte mondial pour l’environnement, un projet de traité international visant à consacrer une nouvelle génération de droits et de devoirs fondamentaux liés à la protection de l’environnement, notamment le droit à un environnement sain.

 

La reconnaissance du droit à un environnement propre, sain et durable comme un droit humain universel fait de la protection de l’environnement un aspect essentiel de la protection des droits humains. Intégrant les normes des droits humains dans les questions environnementales, il s’agit d’un pas important vers une approche fondée sur les droits humains dans les litiges environnementaux.

Bien que les résolutions de l’AGNU ne soient pas juridiquement contraignantes, cette résolution constitue un message politiquement et symboliquement puissant. De plus, la résolution contribuera à la réélaboration et le renforcement de normes, de lois, et de politiques environnementales internationales. À ce titre, elle améliorera nécessairement l’efficacité globale du droit environnemental, privilégiant de nouvelles actions en faveur de l’environnement et du climat. Cela prouve également que le multilatéralisme continue à avoir un rôle à jouer au sein du droit international environnemental.

La reconnaissance doit être associée à de fortes et ambitieuses politiques publiques nationales et régionales. Ces politiques doivent mettre en œuvre des mécanismes visant à renforcer les protections environnementales, la protection de la santé, et la jouissance des autres droits humains. Désormais, les États doivent adopter une approche fondée sur les droits humains dans la réglementation environnementale, ainsi que de meilleures politiques en matière d’énergies renouvelables et d’économie circulaire.

La société civile doit maintenant plaider pour des instruments plus forts et plus ambitieux pour protéger l’environnement, notre droit à un environnement sain et les autres droits environnementaux. Maintenant que le droit à un environnement sain a été reconnu au niveau international, nous devons introduire des droits et des devoirs supplémentaires qui nous permettront d’aller encore plus loin dans la protection de l’environnement.

La résolution de l’AGNU pourrait servir de base à un instrument international plus complet concernant le droit à un environnement sain et d’autres droits environnementaux. Nous disposons déjà de modèles ambitieux qui pourraient être utilisés dans ces futures négociations, notamment le Pacte mondial pour l’environnement et le projet de pacte élaboré par l’Union internationale pour conservation de la nature, le plus grand réseau environnemental mondial.

Le passage du « droit mou » au « droit dur » – dans ce cas, de la résolution non contraignante de l’AGNU à une convention sur le droit à un environnement sain – est très courant en droit international. Par exemple, la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, qui fait partie de la résolution de l’AGNU sur la Charte internationale des droits de l’homme et qui n’est donc pas juridiquement contraignante, a donné lieu à deux traités adoptés en 1966 : le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Il a fallu 18 ans pour intégrer la Déclaration dans deux textes juridiquement contraignants.

Nous espérons qu’il ne faudra pas 18 ans pour parvenir à une convention sur les droits environnementaux, car cela nous amènerait à 2040. Nous ne disposons pas de ce genre de temps. Il est temps d’adopter une telle convention, un « troisième pacte » reconnaissant une troisième génération de droits humains. Après les droits civils et politiques et les droits économiques et sociaux, il est temps de consacrer nos droits environnementaux.

Alors que nous sommes confrontés à une triple crise planétaire et que des personnes meurent déjà à cause d’environnements toxiques et notamment de la pollution atmosphérique, un texte international contraignant sur l’environnement est d’une importance primordiale.

 

Ceci est un extrait édité de notre conversation avec Victoria. Lisez l’interview complète ici.

Plus d’efforts sont nécessaires

Outre sa nature non contraignante, la résolution de l’Assemblée Générale des Nations Unies pose un autre problème potentiel : elle n’est pas précise quant à la portée du droit à un environnement propre, sain et durable. L’ambiguïté pourrait ouvrir la voie à diverses interprétations. Plusieurs États ont déjà exprimé des doutes quant à son applicabilité et à sa pertinence juridique, ce qui laisse penser que certains l’utiliseront à des fins d’autopromotion plutôt que pour stimuler une action concrète. Il appartient à la société civile de plaider en faveur de l’interprétation la plus large et la plus ambitieuse possible et de sensibiliser l’opinion publique afin de faire pression sur les États pour qu’ils respectent et appliquent le droit qu’ils ont reconnu.

La société civile s’efforce également d’utiliser la résolution non contraignante comme tremplin vers quelque chose de plus fort : une convention contraignante sur les droits environnementaux.

Une telle convention permettrait à la société civile de demander aux États de rendre des comptes sur leur performance environnementale. Les litiges en matière d’environnement s’en trouveraient renforcés : l’accord de Paris, une convention juridiquement contraignante à laquelle presque tous les États ont souscrit, a déjà été cité dans plusieurs litiges sur le climat qui ont abouti.

Les menaces liées au changement climatique, à la pollution et à la perte de biodiversité ne sont pas devenues moins urgentes parce qu’une résolution a été adoptée. Ce n’est qu’une étape, bien qu’elle soit importante. D’une certaine manière, c’est maintenant que la société civile devra entreprendre de vrais efforts.

NOS APPELS À L’ACTION

  • Les États devraient intégrer les dispositions de la résolution dans leur législation nationale.
  • Les États et les entreprises devraient prendre des mesures plus fermes pour protéger l’environnement en améliorant les réglementations, en exigeant de meilleures pratiques et en encourageant les changements de comportement.
  • La société civile et les défenseurs de l’environnement devraient faire référence à cette nouvelle reconnaissance des droits environnementaux dans leurs campagnes et leurs actions en justice.

Photo de couverture par Brenton Geach/Gallo Images