En réponse à des poursuites engagées par des militants et des organisations LGBTQI+, la Cour suprême de l’île Maurice a récemment déclaré inconstitutionnelle la criminalisation des actes privés entre adultes consentants de même genre. Cette décision historique rejetant la criminalisation et la considérant une importation étrangère imposée sous le régime colonial britannique a effectivement inversé la vision des acteurs anti-droits selon laquelle les droits des personnes LGBTQI+ seraient imposés par l’Occident. Les militants LGBTQI+ de l’île Maurice continuent leur campagne en faveur de changements juridiques et sociaux visant l’élargissement de l’accès aux droits. Il est temps que les États qui continuent de criminaliser les relations entre personnes de même genre suivent les traces de l’île Maurice et que les organisations régionales et internationales les incitent à le faire.

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La Cour suprême de l’île Maurice a récemment rendu deux arrêts historiques qui jugent inconstitutionnelle la criminalisation des relations sexuelles consensuelles entre hommes adultes. Elle l’a fait en réponse à deux actions en justice intentées par des militants LGBTQI+ et leurs organisations.

Le raisonnement de la Cour suprême a renversé l’argument utilisé par les forces anti-droits pour attaquer les progrès réalisés par les militants LGBTQI+ dans une grande partie de l’Afrique du Commonwealth : elle a reconnu que la criminalisation, plutôt que l’homosexualité, est une importation étrangère et une relique du colonialisme dont il est grand temps de se débarrasser.

Un héritage colonial accablant

Comme dans de nombreux autres États membres du Commonwealth, la criminalisation des relations sexuelles consensuelles entre hommes à Maurice remonte à l’époque coloniale britannique. Les anciennes colonies britanniques ont hérité des dispositions pénales visant les personnes LGBTQI+ en général ou les hommes homosexuels en particulier, et les ont généralement conservées au moment de l’indépendance et lors des réformes ultérieures de leur droit pénal, longtemps après la modification des lois du Royaume-Uni.

C’est exactement cela qui s’est passé à l’île Maurice, qui a déclaré son indépendance en 1968 tout en conservant dans son Code pénal des dispositions criminalisant l’homosexualité datant de 1838. L’article 250 de cette loi punissait la « sodomie » de peines pouvant aller jusqu’à cinq ans de prison. Bien que la loi soit en principe applicable aux activités homosexuelles et hétérosexuelles, elle a été largement perçue et appliquée pour criminaliser les hommes homosexuels.

Encore aujourd’hui, les actes sexuels entre personnes de même genre constituent une infraction pénale dans 31 des 56 États du Commonwealth : 14 en Afrique, 6 dans les Caraïbes et les Amériques, 6 dans le Pacifique et 5 en Asie. Ce crime est souvent passible de lourdes peines de prison : jusqu’à 10 ans et du travail forcé en Jamaïque, 14 ans au Kenya, 20 ans et flagellation en Malaisie et jusqu’à l’emprisonnement à vie au Bangladesh, en Guyane, au Pakistan, en Sierra Leone et en Tanzanie. Dans trois cas (Brunei, nord du Nigeria et Ouganda), la peine de mort peut être prononcée.

LA CRIMINALISATION DES RELATIONS HOMOSEXUELLES DANS LES ÉTATS DU COMMONWEALTH

Même s’il est peu probable que des peines aussi extrêmes soient appliquées, elles ont un effet dissuasif. À Maurice, les peines privatives de liberté pour « sodomie » ont rarement été prononcées au cours des dernières décennies. Mais les interdictions légales ont stigmatisé les personnes LGBTQI+, légitimé les préjugés sociaux et les discours de haine et favorisé la violence à leur encontre, et entravé leur accès à des services sociaux essentiels, notamment les soins de santé. La pleine protection de la loi leur est refusée.

Du fait de la criminalisation, les vies des personnes LGBTQI+ sont restées enveloppées d’incertitude et de peur. Un plaignant dans l’affaire qui a conduit à la décision de dépénalisation à l’île Maurice l’a clairement exprimé : « À cause de cette loi, la menace d’une arrestation plane constamment au-dessus de ma tête. Je suis une personne normale, je paie mes impôts. Je ne veux pas être considéré comme un criminel ».

Tendances contradictoires

Seuls deux États du Commonwealth – le Rwanda et Vanuatu – n’ont jamais criminalisé les relations entre personnes de même genre. Dans d’autres, la dépénalisation s’est faite au fil du temps. Quelques-uns – l’Australie, le Canada, Malte et le Royaume-Uni – ont entamé des processus menant à la dépénalisation dans les années 1960 et 1970, suivis par la Nouvelle-Zélande dans les années 1980 et par les Bahamas, Chypre et l’Afrique du Sud dans les années 1990.

Pendant que certains de ces États qui ont décriminalisé très tôt continuaient leur progrès par la suite, notamment en matière de mariage pour tous, l’activisme de la société civile continuait à alimenter la tendance à la décriminalisation dans les années 2010, en commençant par les Fidji en 2010. Neuf autres pays ont suivi au cours de la décennie suivante : Belize, Botswana, Gabon, Inde, Lesotho, Mozambique, Nauru, Seychelles et Trinité-et-Tobago. Quatre autres pays, dont trois des Caraïbes, ont suivi en 2022 : Antigua-et-Barbuda, la Barbade, Singapour et Saint-Kitts-et-Nevis. Aujourd’hui, ils sont rejoints par l’île Maurice.

Le retour de bâton contre les droits des personnes LGBTQI+ dans les États du Commonwealth tels que le Ghana, le Kenya et l’Ouganda a tendance à faire les gros titres. Dans ces pays, les petites avancées en matière de droits et de visibilité entraînent une réaction défensive disproportionnée de la part des mouvements réactionnaires qui s’opposent aux droits des personnes LGBTQI+, les présentant comme un programme importé de l’Occident. Si bien les luttes des personnes LGBTQI+ dans ces pays sont essentielles, cela ne doit pas occulter la tendance générale au progrès.

Des processus contradictoires sont à l’œuvre, reflétant un bras de fer entre les forces qui luttent pour la réalisation des droits et celles qui résistent aux avancées au nom de la tradition et d’un ordre prétendument naturel. Dans cette lutte, les revers sont inévitables, mais à long terme, c’est le camp des droits qui l’emporte.

Vers plus de droits

Les choses ont commencé à changer à Maurice au milieu des années 1990, lorsque la question des soins de santé pour les personnes LGBTQI+ a été soulevée pour la première fois à l’Assemblée nationale dans le cadre de la prévention, des soins et du traitement du VIH/sida. La première manifestation publique de la fierté mauricienne – qui témoigne de l’audace et de la visibilité croissante du mouvement LGBTQI+ – a eu lieu dix ans plus tard, en 2005.

Peu après, en 2008, la loi sur les droits en matière d’emploi a interdit la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle. Également adoptée en 2008 et entrée en vigueur en 2012, la loi sur l’égalité des chances prévoit des protections dans les domaines de l’emploi, de l’éducation, du logement et de la fourniture de biens ou de services. En 2021, alors que l’action en justice contestant la criminalisation était déjà arrivée devant la Cour suprême, un amendement à la loi sur l’état civil a autorisé l’enregistrement du genre à la naissance des personnes intersexuées comme étant « indéterminé ».

Après des années de travail visant à impulser ses demandes, en octobre 2019, le militant des droits LGBTQI+ Abdool Ridwan Firaas Ah Seek, soutenu par son organisation LGBTQI+ le Collectif Arc-en-Ciel, a intenté une action en justice pour contester la constitutionnalité de l’article 250. Deux plaintes similaires avaient été déposées le mois précédent, l’une par Edward Henry Richard Coombes et l’autre par Najeeb Ahmad Fokeerbux, de la Young Queer Alliance (YQA), aux côtés de trois autres plaignants.

Deux ans plus tard, en novembre 2021, la Cour suprême a commencé à entendre des témoignages. Encore deux ans après, le 4 octobre 2023, elle rendait ses arrêts historiques.

DES VOIX EN PREMIÈRE LIGNE

Najeeb Ahmad Fokeerbux est l’un des fondateurs de YQA, une organisation non gouvernementale, apolitique et dirigée par des jeunes. Cette organisation enregistrée à Maurice cherche à donner le pouvoir aux personnes et aux organisations LGBTQI+, à promouvoir l’égalité et à impulser le changement.

 

L’idée d’une action en justice visant à contester l’article 250(1) du code pénal de 1838, qui criminalisait l’homosexualité, se faisait déjà entendre en 2014. De nombreuses consultations communautaires ont été organisées, mais aucune personne homosexuelle n’était encore prête à relever le défi. C’était une situation de David contre Goliath.

Depuis la création de YQA en 2014, les efforts de plaidoyer ont commencé à progresser auprès des décideurs politiques. Les conversations ont pris un nouvel élan en 2018, la communauté queer ayant obtenu le soutien d’organisations internationales alliées. L’Inde a dépénalisé l’homosexualité en 2018, et cela a eu beaucoup d’impact étant donné qu’environ 65% des Mauriciens sont d’origine indienne. Il ne semblait pas y avoir de raison pour que Maurice ne suive pas le mouvement.

En septembre 2019, avec le soutien de deux cabinets d’avocats basés à Maurice et en France, trois amis et collègues activistes et moi-même avons saisi la Cour suprême pour demander un contrôle constitutionnel au motif que l’article 250 (1) du Code pénal violait nos droits et libertés fondamentaux et était donc inconstitutionnel. Deux autres affaires ont suivi : celle du célèbre artiste gay Henry Coombes et celle d’un jeune militant homosexuel, Ridwaan Ah-Seek.

Mais le changement n’allait pas se produire si nous nous contentions de le rechercher devant les tribunaux. Nous devions accompagner la procédure judiciaire d’efforts visant à changer le cœur et l’esprit des gens. En d’autres termes, nous devions mener la bataille sur deux fronts – devant les tribunaux comme dans la société – tout en veillant à ce que les plaignants restent en sécurité et ne perdent pas le courage de poursuivre une bataille juridique qui prendrait des années.

Le YQA a mobilisé la communauté et le financement de donateurs pour cet effort stratégique et planifié. En plus de nos avocats, nous avons reçu le soutien du Fonds canadien d’initiatives locales, du Equal Rights in Action Fund du National Democratic Institute, de la délégation de l’Union européenne à Maurice, de la Fondation Planet Romeo et de The Other Foundation. Ils ont soutenu une série de projets visant à renforcer les capacités des ambassadeurs LGBTQI+, à fournir une formation aux médias, à s’engager avec les secteurs public et privé et à entreprendre des recherches. À titre de preuve, nous avons soumis aux tribunaux les résultats d’un projet de recherche que nous avions mené en 2021.

Les quatre plaignants – deux hindous, un chrétien et un musulman – ont présenté au tribunal leur histoire en tant que personnes homosexuelles issues de tous les secteurs de la société mauricienne. Trois d’entre nous étant des fonctionnaires publics, nous avons pu montrer les difficultés auxquelles nous étions confrontés du fait de l’existence de cette loi odieuse. Nous avons joué notre rôle et nos avocats compétents ont joué le leur. Quatre ans plus tard et à la suite de tous ces développements, à partir du 4 octobre 2023 les personnes LGBTQI+ à Maurice n’ont plus à vivre dans la crainte constante d’être criminalisées.

 

Ceci est un extrait de notre conversation avec Najeeb. Lisez l’intégralité de l’entretien (en anglais) ici.

Dans l’affaire Ah Seek, la Cour suprême a statué que l’interdiction constitutionnelle de la discrimination basée sur le genre incluait l’orientation sexuelle et que l’interdiction des relations sexuelles entre hommes adultes consentants était discriminatoire et donc inconstitutionnelle. Cette décision fait référence à des décisions de justice antérieures dans plusieurs États du Commonwealth ayant dépénalisé les relations homosexuelles, notamment le Botswana et l’Inde, et souligne l’engagement de l’île Maurice à interpréter sa Constitution conformément au Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Dans l’affaire Fokeerbux, la Cour suprême a accepté l’argument des plaignants selon lequel la disposition relative à la sodomie assimilait les personnes homosexuelles à des criminels et traitait leur sexualité comme un crime. Le respect manqué à leurs relations réaffirmait que l’interdiction des relations sexuelles entre personnes homosexuelles était discriminatoire et inconstitutionnelle. Le fait que les poursuites au titre de l’article 250 soient rares n’a pas été considéré comme une raison de ne pas statuer sur la question : les juges ont reconnu que la simple menace d’arrestation et de poursuites constituait une « épée de Damoclès » injuste au-dessus de la tête des hommes homosexuels.

Changements juridiques et sociaux

Après avoir dépénalisé les relations entre personnes de même genre, l’île Maurice occupe désormais la 54e place sur 197 dans l’indice d’égalité d’Equaldex, qui classe les pays en fonction de leur degré d’inclusion des personnes LGBTQI+. La nation insulaire obtient 58 points sur 100, une mesure révélatrice de tout ce qu’il reste à faire, même si elle se classe bien au-dessus de la région africaine dans son ensemble, qui obtient une moyenne de 28 points.

Parmi les questions en suspens à Maurice figurent la protection totale contre la discrimination, l’égalité du mariage et les droits d’adoption, ainsi que la reconnaissance et la protection des personnes transgenres.

Dans l’indice d’égalité, les résultats de l’île Maurice sont bien meilleurs en termes de sa situation juridique que de l’attitude du public à l’égard des personnes LGBTQI+. Une enquête récente a montré que la tolérance à l’égard des personnes ayant des relations homosexuelles avait augmenté à Maurice, mais que les attitudes sociales restaient en retrait par rapport à l’évolution de la législation.

Pour le mouvement de défense des droits des personnes LGBTQI+, cela pose le défi de remplacer le cercle vicieux de l’interdiction légale qui renforce la stigmatisation sociale par un cercle vertueux, où les avancées juridiques normalisent la présence des personnes LGBTQI+ et leur acceptation sociale, contribuant ainsi à l’accès effectif aux droits consacrés par la loi.

Bien que les relations sexuelles privées entre adultes consentants de même sexe aient été dépénalisées, il reste essentiel d’informer les gens sur la décision et ses implications pour la liberté, l’égalité, la dignité et les droits humains.

NAJEEB AHMAD FOKEERBUX

Il ne suffit jamais de changer les lois et les politiques. Pour repousser la résistance réactionnaire aux droits à laquelle il faut s’attendre, il est nécessaire de faire évoluer les opinions.

Trois semaines après l’arrêt de la Cour suprême, la marche des fiertés a retourné dans les rues de l’île Maurice après deux ans d’absence, une occasion bienvenue de visibilité et de normalisation. Organisée par le Collectif Arc-en-Ciel, elle s’est déroulée sous la devise « Toujours ensemble : unis dans la diversité ». Elle comprenait un « village associatif » où des groupes de la société civile et des partenaires du secteur privé et du gouvernement, y compris des représentants d’autres pays, se sont installés pour parler de leur travail et présenter leurs services. Mais l’occasion a également été saisie par un groupe réactionnaire pour organiser une manifestation symbolique contre les avancées en matière de droits des personnes LGBTQI+.

Qui sera le prochain ?

L’arrêt de la Cour suprême de Maurice a été salué par les experts en droits humains des Nations Unies, ainsi que par le Programme des Nations Unies pour le développement et d’autres agences des Nations Unies, qui ont encouragé l’État à poursuivre sur la voie de la réforme et ont appelé les 66 pays du monde qui criminalisent encore les relations sexuelles entre personnes homosexuelles à faire de même.

32 d’entre eux – près de la moitié – se trouvent en Afrique, et beaucoup font partie du Commonwealth. La Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, principal organe de défense des droits humains du continent, et le Commonwealth – dont les racines, tout comme la criminalisation des personnes LGBTQI+ en Afrique, remontent à l’Empire britannique – devraient donc jouer un rôle de premier plan.

L’arrêt historique de la Cour de Maurice s’inscrit dans une tendance mondiale qui devrait se poursuivre. Les succès remportés par la société civile inspireront sûrement le déploiement d’efforts de plaidoyer partout dans le monde. Mais compte tenu du risque de mouvements réactionnaires, il est également nécessaire de protéger et de défendre les droits acquis et de prendre au sérieux les violations des droits des personnes LGBTQI+, où qu’elles se produisent.

NOS APPELS À L’ACTION

  • Le gouvernement mauricien devrait mettre en place et appliquer des mesures de protection contre la discrimination à l’égard des personnes LGBTQI+.
  • Les groupes de défense des droits des LGBTQI+ de l’île Maurice devraient continuer à faire pression pour obtenir des changements sociaux et juridiques, en particulier en ce qui concerne le mariage pour tous et la reconnaissance des personnes transgenres.
  • Les organismes régionaux et internationaux devraient déclarer leur soutien à la dépénalisation dans les États qui continuent de criminaliser les relations entre personnes de même genre, et joindre le geste à la parole.

Photo de couverture par Collectif Arc-en-Ciel/Facebook