Les militants pour le climat sont de plus en plus nombreux à engager des actions en justice pour demander des comptes aux gouvernements et aux entreprises – et à remporter des victoires. Les jeunes militants ont récemment remporté des succès historiques lorsque les tribunaux ont condamné les gouvernements australien et allemand, leur ordonnant de faire davantage pour protéger l’avenir des jeunes en agissant sur le changement climatique. Aux Pays-Bas, un tribunal a ordonné au géant pétrolier Shell de réduire radicalement ses émissions. Parallèlement aux actions en justice, l’activisme des actionnaires cible les entreprises de combustibles fossiles pour les inciter à passer à des énergies plus propres et à réduire leurs émissions de carbone, et l’attention se porte sur les décisions prises par les grands investisseurs, notamment les fonds de pension. Une action simultanée sur plusieurs fronts permet d’espérer éviter le pire de la crise climatique.

L’action dans la rue – manifestations de masse et désobéissance civile non violente – a contribué à faire de la crise climatique une priorité dans l’agenda public et politique. Parallèlement, dans le cadre de processus tels que la série de sommets sur le changement climatique (COP), dont la COP26 qui s’est tenue au Royaume-Uni en novembre, la société civile fait tout ce qu’elle peut pour plaider en faveur d’engagements plus ambitieux de la part des États.

Mais de plus en plus, les défenseurs du climat utilisent une tactique complémentaire : ils s’adressent aux tribunaux pour demander aux gouvernements et aux entreprises de rendre compte de leurs actions – ou de leur inaction. En 2021, les actions en justice ont remporté quelques succès marquants.

Une autre tactique de plus en plus utilisée est l’activisme au sein des entreprises, les militants cherchant à siéger aux conseils d’administration des entreprises afin d’influencer leurs politiques et leurs comportements. Les campagnes publiques sont souvent associées à ces tactiques pour faire avancer les choses. La société civile s’engage par tous les moyens possibles pour exiger des actions en faveur du climat et demander aux gouvernements et aux entreprises de faire mieux.

De jeunes militants embarrassent le gouvernement australien

Comme pour les protestations en faveur du climat, l’âge ne constitue pas un obstacle à une action en justice. C’est un groupe d’adolescents militants pour le climat qui a mis le gouvernement australien dans l’embarras en juillet dernier. Si le tribunal a bloqué la tentative des jeunes activistes d’empêcher l’expansion d’un projet d’extraction de charbon, il a également statué que le ministre australien de l’environnement avait un devoir de protection envers tous les Australiens de moins de 18 ans pour éviter de « causer des dommages corporels ou la mort… résultant des émissions de dioxyde de carbone dans l’atmosphère terrestre ».

Par cet arrêt, la Cour a créé une responsabilité juridique pour l’un des plus grands émetteurs de gaz à effet de serre par habitant du monde, afin de protéger les enfants et les jeunes contre les dommages climatiques. L’arrêt a une portée mondiale : on pense qu’il s’agit du premier cas dans le monde où un tribunal a imposé une telle responsabilité à un État.

L’argument du gouvernement selon lequel les émissions supplémentaires générées par l’expansion du charbon n’auraient qu’un impact global minime sur le réchauffement climatique n’a pas tenu la route ; même de petites augmentations peuvent provoquer des points de basculement. Les actions de l’Australie ne sont pas du tout conformes à l’engagement pris dans le cadre de l’accord de Paris de maintenir le réchauffement climatique en dessous de 1,5 degré. Pour le gouvernement australien, dépendant du charbon – qui n’a pas l’intention de réduire ses émissions d’ici à 2030 ni d’arrêter progressivement la production de charbon, mais qui s’emploie au contraire à développer l’extraction -, la décision de la Cour a constitué un retour à la réalité malvenu. Il n’est pas étonnant que le gouvernement ait immédiatement fait appel.

L’audience d’octobre de la cour d’appel a donné lieu au spectacle peu édifiant des avocats de Sussan Ley, ministre australienne de l’environnement, qui ont fait valoir qu’elle n’avait « pratiquement aucun contrôle » sur les émissions mondiales de gaz à effet de serre et que le danger que représente le changement climatique pour les enfants serait essentiellement le même, quelles que soient les mesures prises par la ministre.

Il est rare de voir des politiciens élus dire aux électeurs qu’ils n’ont aucun pouvoir et que ce qu’ils font n’a aucune importance. Les Australiens préoccupés par la crise climatique pourraient bien se demander s’ils ne devraient pas voter pour quelqu’un qui pense que ses actions peuvent faire la différence. Les jeunes qui ont porté l’affaire devant la justice sont déconcertés par la détermination de la ministre à nier son devoir de protection à leur égard, et par sa volonté de se battre non pas pour protéger leurs droits mais pour défendre les entreprises de combustibles fossiles.

L’action en justice renforce l’ambition politique en Allemagne

Au moment où nous écrivons ces lignes, la décision de la cour d’appel australienne reste en suspens. Les défenseurs du climat du monde entier observent la situation, en espérant que le jugement sera confirmé. Mais même si elle est annulée, ils ne désespèrent pas. L’arrêt australien n’est pas la seule avancée. Partout dans le monde, les actions en justice relatives au climat s’opposent à l’inaction des gouvernements et au pouvoir considérable de l’industrie des combustibles fossiles. Plus d’un millier de procès pour le climat ont été intentés depuis 2015, et 191 nouveaux cas ont été déposés entre mai 2020 et mai 2021. Beaucoup d’entre eux – les recherches suggèrent que plus de la moitié – se sont avérés fructueux.

En avril, les tribunaux allemands ont jugé que la loi du pays visant à réduire les émissions de carbone à un niveau net zéro d’ici 2050 n’allait pas assez loin et devait être renforcée. La loi, adoptée en 2019, ne prévoyait de réduction des émissions que jusqu’en 2030. Après que neuf militants pour le climat âgés de 15 à 24 ans ont intenté un procès, le tribunal a ordonné au gouvernement de réviser la loi pour fixer des objectifs au-delà de 2030. Le tribunal a estimé que les libertés fondamentales des jeunes étaient violées, car si les réductions d’émissions ne sont pas suffisantes aujourd’hui, ils devront supporter la charge déraisonnable de devoir réduire considérablement leurs émissions à l’avenir.

Comme en Australie, la décision de la Cour a montré que les gouvernements ont la responsabilité de prendre en compte les droits de ceux qui vivront avec les dommages climatiques bien après que la génération actuelle de politiciens ait quitté le pouvoir. Elle a également démontré que les militants pour le climat présentent et gagnent de plus en plus de procès en faveur des droits humains contre l’inaction climatique.

La décision de l’Allemagne a eu un impact immédiat. Le gouvernement de l’époque a annoncé un plan plus ambitieux visant à atteindre un niveau net zéro d’ici 2045 et à réduire les émissions de 65% d’ici 2030. Le nouveau gouvernement allemand, arrivé au pouvoir après les élections d’octobre 2021, est allé encore plus loin, s’engageant à éliminer progressivement le charbon d’ici à 2030 et à produire 80 % de son électricité à partir de sources renouvelables à cette date. La victoire devant les tribunaux s’est conjuguée aux protestations du public pour pousser les partis politiques à se montrer plus ambitieux lors de la campagne électorale.

Les entreprises de combustibles fossiles sous les projecteurs de la justice

Ailleurs, les poursuites se sont concentrées sur le rôle des entreprises de combustibles fossiles dans la conduite du changement climatique – et de plus en plus, sur les entreprises financières qui investissent dans ces entreprises. En 2019, la Cour suprême des Pays-Bas a confirmé un jugement selon lequel le gouvernement doit réduire ses émissions pour protéger les droits humains de ses citoyens face au changement climatique. En 2021, aux Pays-Bas, c’est au tour du secteur privé de perdre devant les tribunaux.

Dans un jugement historique rendu en mai dernier, on a exigé à Shell qu’elle réduise ses émissions de dioxyde de carbone de 45 % d’ici à 2030. L’affaire a été portée par plusieurs groupes de la société civile de défense de l’environnement, menés par les Amis de la Terre.

Il s’agissait d’un verdict de portée monumentale. Shell, dont les sièges sociaux sont situés aux Pays-Bas et au Royaume-Uni, est l’une des plus grandes compagnies pétrolières du monde. Le tribunal a créé un précédent en décidant que Shell est légalement tenue de se conformer à l’accord de Paris. Il a statué que Shell a l’obligation non seulement de réduire ses propres émissions, mais aussi de faire de son mieux pour réduire les émissions tout au long de sa chaîne de valeur, y compris chez ses consommateurs et ses fournisseurs.

Cette action en justice est l’une des nombreuses actions actuellement menées pour contraindre les gouvernements et les entreprises à se conformer à l’accord de Paris, ce qui montre la valeur des traités internationaux pour fixer des normes et donner à la société civile des possibilités de plaidoyer.

Shell a immédiatement déclaré qu’elle ferait appel, tout en proposant le discours de greenwashing qu’offrent régulièrement les sociétés de combustibles fossiles qui continuent à développer de nouveaux sites d’extraction. Shell affirme également qu’elle réduira les émissions de ses activités de 50 % d’ici à 2030, une promesse qui élude les instructions de la Cour de réduire la majeure partie des émissions dont elle est responsable, qui proviennent des produits utilisés par ceux qu’elle approvisionne.

Ce n’était même pas la première affaire perdue par Shell devant les tribunaux néerlandais récemment : en janvier 2021, une cour d’appel néerlandaise a jugé que sa filiale nigériane devait verser des indemnités aux agriculteurs touchés par des déversements de pétrole, un verdict dont le géant pétrolier s’est dit « déçu » ; il est peu probable que cette histoire apparaisse dans sa prochaine campagne de relations publiques sur papier glacé.

Dans ce qui pourrait bien être une réaction à ces défaites juridiques successives, Shell a annoncé en novembre qu’elle allait transférer son siège social et sa résidence fiscale au Royaume-Uni, ce qui pourrait la mettre à l’abri de nouvelles actions devant les tribunaux néerlandais. On peut toutefois s’attendre à ce que le vaste mouvement britannique pour la justice climatique maintienne la pression.

Les actionnaires font pression sur les géants des combustibles fossiles

Shell fait également partie des entreprises de combustibles fossiles confrontées à l’action de groupes formés par leurs propres actionnaires. Les groupes d’actionnaires se montrent de plus en plus préoccupés par les risques commerciaux encourus par les entreprises qui dépendent de l’extraction future de combustibles fossiles, et défendent les possibilités offertes par les énergies plus propres et les technologies de transition. Certains groupes d’actionnaires réalisent que les combustibles fossiles ont peu d’avenir, mais que les alternatives offrent un rendement potentiel.

Le fonds spéculatif Third Point, qui a acquis une participation importante dans l’entreprise Shell, souhaite scinder l’entreprise en deux : une société de combustibles fossiles et une société d’énergie plus propre qui réalise des bénéfices en investissant dans les énergies renouvelables et les technologies de réduction du carbone.

Ils ne sont pas les seuls. En mai, un fonds spéculatif activiste a obtenu deux sièges au conseil d’administration d’Exxon, arguant que le géant pétrolier ne parvenait pas à ajuster sa stratégie commerciale face au changement climatique et qu’il ne tirait pas parti de la valeur qu’il pourrait obtenir grâce à des solutions alternatives. Il est intéressant de noter que les actions d’Exxon ont pris de la valeur et non perdu, à la suite de cette décision.

Le même mois, le jour même du verdict de la justice néerlandaise concernant Shell, les actionnaires de Chevron ont voté à 61 % en faveur d’une résolution visant à réduire les émissions générées par ses produits ; le conseil d’administration avait demandé aux actionnaires de rejeter cette résolution.

De telles initiatives sont très éloignées de la justice climatique que de nombreux militants appellent de leurs vœux. Dans de nombreux cas, il s’agit de groupes d’actionnaires poursuivant des intérêts personnels. Mais elles pourraient constituer une partie importante de la réponse nécessaire.

De plus en plus d’activistes climatiques font également campagne pour obtenir des sièges dans les conseils d’administration ; même si leurs efforts n’aboutissent pas, ils utilisent les campagnes pour mettre en avant leurs problèmes et attirer l’attention sur les dommages climatiques causés par les entreprises.

C’est le cas d’Ashjayeen Sharif, 18 ans, qui a fait campagne en 2021 pour un siège au conseil d’administration du géant du charbon AGL, le plus grand pollueur climatique d’Australie. Sharif, qui s’est d’abord impliqué dans le mouvement de grève des écoles, a fait campagne pour que l’entreprise soit passée à une énergie 100% renouvelable d’ici 2030. Bien qu’il n’ait pas obtenu de siège au conseil d’administration, la campagne de Sharif a permis de mettre en lumière le manque d’action de l’entreprise pour atténuer les effets néfastes sur le climat, et a contribué à la dynamique qui a permis aux actionnaires d’adopter une résolution non contraignante lors de l’assemblée de septembre 2021, afin que l’entreprise définisse des plans de réduction des émissions et lie la rémunération des dirigeants à la réalisation de ces objectifs.

Les fonds de pension entrent dans la danse

Alors que certains tentent d’influer sur l’orientation des entreprises et de les faire évoluer vers des énergies plus propres par le biais d’investissements et d’actions des actionnaires, d’autres font pression pour le désinvestissement, exhortant les investisseurs à renoncer aux entreprises de combustibles fossiles et à orienter leurs investissements vers des solutions alternatives.

En matière de désinvestissement, l’attention se porte de plus en plus sur les choix effectués par les grands fonds de pension. Ce sont d’énormes investisseurs auprès desquels de nombreuses personnes ont des intérêts, mais ils prennent souvent des décisions opaques.

Les changements apportés par Exxon en mai ont bénéficié du soutien de certains fonds de pension. Et une fois de plus, les Pays-Bas ont fait les gros titres. En octobre dernier, l’un des plus grands fonds de pension du monde, ABP, a annoncé qu’il allait vendre toutes ses participations dans des entreprises de combustibles fossiles, pour une valeur d’environ 17 milliards de dollars. Il faisait l’objet d’une action en justice en raison de ces participations et, quelques mois auparavant, il avait déclaré qu’il n’avait pas l’intention de se désengager.

Il n’est pas le seul. Le mois précédent, le deuxième plus grand fonds de pension du Canada, CDPQ, a annoncé qu’il se départirait de tous ses investissements pétroliers d’ici à la fin de 2022. Il avait également fait l’objet de pressions de la part de militants en ce sens.

Tous les fonds qui continuent à investir dans le commerce mortel des combustibles fossiles peuvent s’attendre à subir une pression soutenue similaire. Ils peuvent s’attendre à devoir rendre des comptes et à être poussés à déplacer leurs investissements vers le bon côté de l’histoire. De plus en plus, les arguments sont à la fois en faveur de la justice sociale et commerciaux. Lorsque ABP a annoncé son désinvestissement, elle a souligné qu’elle ne s’attendait pas à ce que ses revenus soient affectés. Il n’y a plus de raisons financières convaincantes pour investir dans les combustibles fossiles.

Des actions sur tous les fronts

D’autres actions sont nécessaires. Les exemples de litiges climatiques cités ci-dessus ne sont que quelques exemples parmi tant d’autres, mais alors que les litiges se multiplient dans le Sud du monde, historiquement, la plupart des efforts se sont concentrés dans le Nord du monde, et en particulier aux États-Unis. Il y a encore relativement peu d’affaires en Afrique, en Asie et dans les îles du Pacifique, même si ces régions sont en première ligne des impacts climatiques. Il est nécessaire de porter le combat devant tous les tribunaux et d’exercer une pression juridique sur les entreprises et les États de toutes les régions du monde, afin de les obliger à adapter leurs actions à l’ampleur de la crise.

Bien entendu, les actions en justice sont souvent lentes et coûteuses, et exigent des compétences spécialisées. Un soutien beaucoup plus important est nécessaire, y compris le travail pro bono des cabinets d’avocats. Il est également nécessaire de défendre et de soutenir les militants, souvent jeunes, qui mènent ces luttes et qui risquent de s’épuiser et de recevoir des réactions négatives.

Compte tenu du rôle central que jouent les fonds de pension, il convient d’inciter beaucoup plus d’employés à s’interroger sur la manière dont est investi l’argent qu’ils mettent de côté chaque mois pour leur avenir. Il faut les motiver et leur permettre d’opter pour des fonds qui soutiennent la transition climatique. Les fonds de pension qui ne le font pas doivent s’attendre à faire l’objet d’une campagne soutenue.

Face à la crise climatique, certaines alliances inhabituelles peuvent s’avérer nécessaires. Les défenseurs du climat et les fonds spéculatifs ne font pas naturellement bon ménage. Mais étant donné le rôle que les fonds peuvent jouer en tant qu’investisseurs activistes, il est nécessaire de les engager et de présenter des arguments lorsque l’intérêt financier personnel et l’action climatique coïncident. Cette démarche ne remplace pas l’exigence de justice sociale par une mobilisation de masse. Mais toutes les tactiques doivent être menées simultanément pour répondre à la menace véritablement existentielle à laquelle nous sommes tous confrontés.

NOS APPELS À L’ACTION

  • Les campagnes pour le climat doivent soutenir les litiges climatiques dans les pays du Sud, notamment en partageant les capacités et en mobilisant le soutien bénévole de personnes expérimentées en matière de litiges climatiques.
  • La société civile devrait exercer une pression concertée sur les fonds de pension et autres investisseurs pour qu’ils se désengagent des combustibles fossiles et investissent plutôt dans les énergies plus propres et la transition climatique.
  • Les investisseurs du secteur privé devraient consacrer beaucoup plus de fonds aux énergies plus propres et à la transition climatique et faire pression sur les entreprises de combustibles fossiles pour qu’elles suivent le mouvement.

Photo de couverture par Kentaro Takahashi/Bloomberg via Getty Images