Dans un premier temps, l’incapacité du Conseil des droits de l’homme de l’ONU à agir contre la Chine pour les violations des droits humains commises au Xinjiang a été un coup dur. Cependant, le Conseil a pris la bonne décision concernant la Russie, en votant pour la création d’un nouveau rôle pour surveiller la détérioration de la situation des droits humains en Russie. Le Conseil a également reconnu la nécessité de protéger les droits des journalistes. Par contre, le Conseil n’a pas réussi à demander des comptes à d’autres États abusifs tels que les Philippines. À la fin de la session, l’élection au Conseil d’un grand nombre d’États ayant des antécédents troublants en matière de droits humains a montré que la composition du Conseil reste problématique.

La société civile a été déçue lors de la dernière session du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies (ONU) à Genève. Ce qui aurait pu être un grand pas en avant – une résolution visant à débattre des violations massives des droits humains commises par la Chine dans sa région du Xinjiang – a échoué, la Chine ayant utilisé toute sa force pour faire rejeter la résolution.

Pourtant, le jour suivant a vu une percée lorsque le Conseil a voté la création d’un nouveau rôle pour surveiller la situation des droits humains en Russie. Un rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits humains en Russie rejoindra les rangs des divers experts indépendants des Nations Unies en matière de droits humains. Cela placera la Russie sous le même type de surveillance que l’Érythrée, l’Iran, le Myanmar, la Corée du Nord, ainsi que l’allié limitrophe de la Russie, le Belarus.

Dans une année, le nouveau rapporteur spécial présentera un rapport et des recommandations au Conseil des droits de l’homme. Cela offrira à la société civile – y compris aux activistes russes en difficulté – une occasion cruciale d’apporter des preuves des abus de l’État russe.

C’est la première fois que l’un des cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations Unies est soumis à ce type d’examen. Cela montre que même les États puissants peuvent être tenus responsables lorsqu’ils commettent des violations flagrantes et répandues.

La résolution sur la Russie fait suite à une résolution précédente présentée en mars sous pression de la société civile tendant à la création d’une Commission d’enquête internationale indépendante sur l’Ukraine afin d’enquêter sur les accusations de crimes de guerre et autres violations des droits humains dans la guerre contre l’Ukraine. En avril, la Russie a été suspendue du Conseil des droits de l’homme. Ce n’est que le deuxième pays à être suspendu, après la Libye en 2011.

Mais aucune de ces décisions ne reflète une opinion unanime sur les abus flagrants de la Russie. Seuls 17 membres du Conseil ont voté pour la résolution sur la Russie. Six États – la Bolivie, la Chine, Cuba, l’Érythrée, le Kazakhstan et le Venezuela – ont voté contre, la plupart d’entre eux constituant une litanie malheureusement courante d’auteurs de violations des droits humains. Mais 24 États se sont abstenus sur cette question primordiale de droits humains. Parmi eux figurent le Brésil, l’Inde et le Mexique, ainsi que 12 États africains. La stratégie actuelle de la Russie se concentrant sur l’établissement de relations avec des États africains semble avoir porté ses fruits, puisqu’aucun d’entre eux n’a soutenu la résolution. Cela permet à Vladimir Poutine d’argumenter que les mesures prises à son encontre sont le fruit d’une conspiration entre quelques puissances, et ne bénéficient en réalité pas d’un large soutien.

De nouvelles avancées

La dernière session a apporté d’autres nouvelles bienvenues. Le Conseil a adopté une résolution sur la sécurité des journalistes, appelant les États à revoir et à modifier les lois et les politiques pour permettre aux journalistes de travailler en toute indépendance et sans interférence. Cette résolution intervient à un moment où les journalistes sont attaqués dans de nombreux pays, notamment en raison des restrictions introduites dans le cadre de la pandémie. La résolution reconnaît certaines des contraintes nouvelles et croissantes qui pèsent sur le journalisme, notamment les poursuites stratégiques contre la participation du public, à savoir des actions en justice destinées à intimider et à épuiser ceux qui cherchent à demander des comptes aux personnes au pouvoir.

La résolution sur la détention arbitraire a constitué une autre avancée. Celle-ci souligne la nécessité de mettre en œuvre la Déclaration des Nations Unies sur les défenseurs des droits de l’homme et appelle les États à veiller à ce que les manifestants, les journalistes et les autres défenseurs des droits humains soient à l’abri de la détention arbitraire.

Le Conseil a également accueilli un débat sur le racisme systémique et le recours excessif à la force contre les personnes noires par les forces de sécurité dans de multiples pays. Cela s’est réalisé grâce au nouveau rôle créé en 2021, le Mécanisme d’experts chargé de promouvoir la justice et l’égalité raciales dans le contexte du maintien de l’ordre.

Le Conseil a entendu directement ceux qui vivent le racisme systémique des forces de sécurité : Collette Flanagan, de Mères contre la brutalité policière, dont le fils, Clinton Allen, a été abattu par la police des Etats-Unis en 2013, a parlé de la nécessité de remettre en cause l’impunité et de mettre fin aux violations des droits humains par la police. La session a mis en lumière le manque de redevabilité concernant les meurtres de personnes noires par la police et l’inaction des États.

Le débat s’est accompagné d’une résolution sur la discrimination raciale et la xénophobie et d’une discussion sur l’héritage colonial. La résolution condamne les déportations illégales, l’usage excessif de la force et les décès de migrants, de réfugiés et de demandeurs d’asile africains ou d’origine africaine aux mains des forces de sécurité chargées du contrôle des frontières et des migrations. Elle appelle les États à adopter une approche de justice raciale, notamment en adoptant des politiques visant à lutter contre le racisme structurel dans la gestion des migrations.

Tout cela s’effectue dans un contexte de résurgence mondiale du mouvement pour la vie et les droits des personnes noires, déclenché par le meurtre de George Floyd par la police en 2020. Ces débats et résolutions montrent ainsi le mérite du Conseil, qui répond aux débats émergents sur la concrétisation et la négation de droits dont la perception évolue.

Des résultats mitigés en matière de redevabilité

Outre le succès obtenu sur la question russe et l’échec concernant la Chine, les résultats sont tout aussi mitigés en ce qui concerne la redevabilité des autres États violateurs des droits humains. Les mandats de la Commission d’enquête de l’ONU sur le Venezuela et du rapporteur spécial sur l’Afghanistan ont été prolongés. Il existe un besoin clair et urgent pour ces deux missions. Mais en ce qui concerne l’Afghanistan, la société civile réclame la mise en place d’un mécanisme indépendant chargé d’enquêter sur les violations et de recueillir des preuves, afin que les auteurs de ces violations puissent être tenus redevables. Ces appels répétés de la société civile continuent d’être ignorés.

Ainsi, les efforts de la société civile n’ont pas permis d’aboutir à une résolution sur une enquête globale et permanente des Philippines. Un programme des droits humains établi en 2020, mené conjointement par les Nations Unies et le gouvernement, n’a eu qu’un impact minime sur la situation désastreuse des droits humains dans ce pays. Cela n’a que donné au gouvernement l’occasion de blanchir sa réputation.

Les tentatives de relance d’une enquête indépendante sur les crimes commis au Yémen, fermée par une résolution du Conseil l’année dernière à la suite d’un intense lobbying de l’Arabie saoudite, ont aussi échoué.

Il y a toutefois eu un développement positif en ce qui concerne le Sri Lanka. Le Conseil a voté pour renforcer son opération de collecte de preuves de violations flagrantes des droits humains et d’éventuelles violations du droit international humanitaire dans le contexte de la guerre civile qui s’est déroulée entre 1983 et 2009. Cela nous permet d’espérer qu’un jour, ceux qui ont ordonné et perpétré des crimes devront rendre des comptes et que les victimes recevront une certaine réparation.

Une autre année d’élections non compétitives

La session du Conseil s’est terminée par le rituel annuel d’élection des nouveaux membres. Le Conseil compte 47 États membres qui exercent un mandat de trois ans, un tiers environ étant élu chaque année avec possibilité d’une réélection. Un nombre déterminé de sièges est attribué à chacun des cinq groupes régionaux de l’ONU : Afrique, Asie et Pacifique, Europe centrale et orientale, Amérique latine et Caraïbes, et Europe occidentale et autres États.

Le problème est que les élections sont rarement compétitives. Les États de chaque groupe régional négocient généralement pour présenter autant de candidats que de sièges disponibles. C’est ainsi que l’un des principaux défauts du Conseil devient perpétuel : alors même que les États membres sont censés avoir un strict engagement en droits humains et respecter toute norme, nombre d’entre eux ont des antécédents nationaux sombres. Ils n’ont donc guère intérêt à promouvoir la redevabilité internationale. Plusieurs États sont accusés d’avoir rejoint le Conseil non pas pour promouvoir les droits humains, mais plutôt pour se protéger, eux et leurs alliés, de la surveillance internationale.

L’absence de concurrence réduit la possibilité que le bilan des États en matière de droits humains soit pris en compte lors de la détermination de leur adhésion. Or la société civile réclame cela, et des organisations telles que Amnesty International et le Service International pour les Droits de l’Homme ont tenté de maintenir la pression en invitant les représentants des États souhaitant devenir membres du Conseil à prendre des engagements en matière de droits humains et à répondre aux questions. Les États ont toutefois largement esquivé la question de leur position sur les violations des droits humains commises par la Chine, et ceux présentant les pires bilans en matière de droits humains n’ont même pas pris la peine de participer.

Lors du dernier tour, il n’y avait de concurrence que dans deux groupes régionaux, et les résultats étaient mitigés. Ils ont été positifs en Amérique latine et dans les Caraïbes, où deux sièges étaient disputés par trois États, et où le Venezuela a perdu sa candidature à la réélection, battu par le Chili, placé en première position, et le Costa Rica, qui est arrivé en deuxième position. Cela a permis d’éliminer un État au bilan épouvantable en matière de droits de l’homme au profit d’un État plus démocratique.

Une campagne électorale de la société civile

À l’approche du vote, la société civile latino-américaine a organisé des événements de partage d’informations et mené des actions de plaidoyer à haut niveau pour empêcher la réélection du Venezuela, en favorisant les candidatures du Chili et du Costa Rica.

Par le biais de déclarations dans les médias et de présentations publiques, des groupes de la société civile locale et internationale ont souligné l’épouvantable bilan du Venezuela en matière de droits humains, qui comprend même de possibles crimes contre l’humanité, ainsi que son histoire lamentable en matière de vote au Conseil en tant que membre d’un groupe d’États répressifs qui s’efforcent de se protéger mutuellement de la surveillance internationale.

Le vote a également fourni des opportunités de plaidoyer envers le Chili et le Costa Rica : la situation des deux Etats en matière de droits humains ainsi que leurs positions dans les votations passées du Conseil ont été dûment examinées. Le soutien de la société civile à leur élection était loin d’être inconditionnel : les deux États se sont vu rappeler leurs échecs passés au Conseil et leurs dettes nationales en matière de droits humains – notamment le fait que le Costa Rica, même après avoir dirigé le processus d’élaboration de l’accord extrêmement innovateur d‘Escazú sur les droits environnementaux, ne l’ait pas encore ratifié.

Cependant en Asie et dans le Pacifique, les nouvelles n’ont pas été si positives. Sept États se sont initialement portés candidats pour quatre sièges disponibles. Bahreïn s‘est retiré avant le vote en raison des nombreuses critiques concernant ses mesures répressives. Celles-ci ont résulté dans la détention dans des conditions désastreuses de nombreux militants qui revendiquaient des libertés politiques et civiles.

Pourtant lors du vote, la Corée du Sud, pays démocratique, a perdu, tout comme l’Afghanistan qui est encore représenté à l’ONU par des diplomates du gouvernement déchu plutôt que par le régime taliban. Ont été élus à la place le Bangladesh et le Vietnam, deux États qui violent systématiquement les droits, ainsi que Kirghizstan et les Maldives, qui imposent aussi de sérieuses restrictions aux libertés fondamentales.

Parmi ceux qui les rejoignent figurent l’Algérie, où la dissidence est de plus en plus réprimée, et le Soudan, soumis à un régime militaire brutal depuis le coup d’État de l’année dernière. Un élément crucial de la fonction du Conseil est d’entendre les témoignages de la société civile. Or, selon le Secrétaire général des Nations Unies, sept des 14 États nouvellement élus ont récemment exercé des représailles contre leurs citoyens pour avoir coopéré avec les Nations Unies.

La fin du mandat des îles Marshall, un État d’Océanie qui a toujours soutenu les résolutions relatives aux droits humains, remet également en question l’équilibre géographique du Conseil. Aucune nation des îles du Pacifique n’est actuellement présente au Conseil. Ainsi, Cuba, un État autoritaire, est l’unique représentant des Caraïbes.

De plus, parmi les membres du Conseil qui commenceront leur mandat en 2023, seuls trois des 47 disposent d’un espace civique ouvert et 34 – soit plus de 70 % – connaissent de sérieuses restrictions en matière d’espace civique, six d’entre eux ayant un espace civique complètement fermé. On assiste donc, avec ces élections, à une nouvelle détérioration du Conseil. La société civile continuera de déployer tous ses efforts en travaillant avec le Conseil, en réclamant avec insistance des décisions solides en matière de droits humains, et en surveillant leur mise en œuvre. Mais un engagement plus important est nécessaire pour maintenir à la marge de ces décisions les États les plus violateurs des droits humains, afin que les membres du Conseil soient plus enclins à prendre le parti des victimes au lieu de fermer leurs yeux sur les abus. Des élections pleinement concurrentielles – avec davantage de possibilités pour la société civile de poser des questions et de demander des engagements – seraient un bon début.

NOS APPELS À L’ACTION

  • Les Nations Unies doivent fournir les ressources adéquates pour que le nouveau Rapporteur spécial sur les droits humains en Russie soit pleinement en mesure de recueillir des preuves et d’échanger avec la société civile en Russie et à l’étranger.
  • Il faut faire pression sur les groupes régionaux pour qu’ils organisent des élections compétitives au Conseil des droits de l’homme et permettent à la société civile de surveiller le processus.
  • Les membres du Conseil des droits de l’homme de l’ONU doivent s’engager à ne pas exercer de représailles contre les citoyens pour avoir coopéré avec l’ONU.

Photo de couverture par Reuters/Denis Balibouse via Gallo Images