Le Conseil de sécurité de l’ONU : nouveaux membres mais peu de changements
L’élection récente des nouveaux membres du Conseil de sécurité des Nations Unies a apporté quelques bonnes nouvelles, la Slovénie démocratique l’emportant sur la Biélorussie autoritaire. Mais il s’agit là du seul vote concurrentiel, quatre autres nouveaux membres ayant été sélectionnés par leurs groupes régionaux. L’absence de concurrence prive la société civile de la possibilité d’exposer le bilan des États en matière de droits humains et de plaider en faveur d’engagements de la part des candidats retenus. Celui-ci est loin d’être le seul problème du Conseil de sécurité, comme l’a montré à maintes reprises l’utilisation par la Russie de son droit de veto pour bloquer l’action contre son invasion de l’Ukraine. Il est temps d’écouter les idées de la société civile sur la réforme du Conseil de sécurité.
Des élections ont récemment été organisées pour désigner les cinq nouveaux membres du Conseil de sécurité des Nations Unies (ONU) – bien qu’il soit quelque peu abusif d’appeler cela une élection.
Les États membres de l’ONU sont organisés en cinq blocs régionaux : Afrique, Asie et Pacifique, Europe de l’Est, Amérique latine et Caraïbes, et Europe occidentale et autres. Des candidats de chacun d’entre eux peuvent se présenter pour un siège au Conseil de sécurité. Le Conseil compte 15 membres, dont cinq permanents – la Chine, la France, la Russie, le Royaume-Uni et les États-Unis -, les dix autres ayant un mandat de deux ans, dont cinq sont élus chaque année.
Cette fois-ci, quatre des cinq blocs ont eu l’opportunité de se présenter. L’Albanie, le Brésil, le Gabon, le Ghana et les Émirats arabes unis finiront leur mandat au Conseil à la fin de l’année et seront remplacés par l’Algérie, la Guyane, la Sierra Leone, la Slovénie et la Corée du Sud. Mais un seul de ces cinq États devait remporter un vote concurrentiel. Dans le groupe de l’Europe de l’Est, la Slovénie s’est retrouvée face au pire candidat possible : l’État autoritaire du Belarus.
Heureusement, la raison l’a emporté et l’allié le plus fidèle de la Russie n’a pas pu prétendre à une place au sein de l’organe chargé de maintenir la paix et la sécurité internationales. Lors du vote à bulletin secret, la Slovénie a obtenu 153 voix contre 38 pour la Biélorussie. De nombreux États ont manifestement profité de l’occasion pour envoyer un message au dictateur biélorusse Alexandre Loukachenko – qui a emprisonné environ 1 500 personnes et fermé des centaines d’organisations de la société civile depuis sa victoire frauduleuse à l’élection présidentielle de 2020 – et à Vladmir Poutine.
La Russie sape la crédibilité du Conseil
La présence du Belarus n’aurait que pu renforcer la position de la Russie, mais grâce à la structure du Conseil de sécurité des Nations Unies, la Russie peut toujours faire des ravages, alors même qu’elle ne compte pas d’alliés. La Russie, qui fait partie des cinq membres permanents, dispose d’un droit de veto et l’a utilisé, comme on pouvait s’y attendre, pour bloquer toute action du Conseil de sécurité concernant son invasion de l’Ukraine. Or, cette invasion constitue une violation flagrante de la Charte des Nations Unies, qui interdit le recours à la force contre « l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique » d’un autre État. Il existe également un conflit d’intérêts évident entre son implication dans la guerre et son rôle au Conseil, ce qui, selon les règles actuelles, devrait l’amener à s’abstenir de voter.
Faute de cela, les Nations Unies ont été contraintes de porter la question devant l’Assemblée générale des Nations Unies, au sein de laquelle tous les États membres de l’ONU sont représentés. Celle-ci a adopté des résolutions appelant à un retrait immédiat de la Russie et à la fin des combats, mais contrairement aux votes du Conseil de sécurité, ces résolutions ne sont pas contraignantes.
Pire encore, la Russie a instrumentalisé son rôle au Conseil de sécurité dans le cadre de sa guerre de propagande, utilisant les sessions du Conseil pour diffuser de la désinformation. Récemment, son représentant à l’ONU a affirmé au Conseil que c’était l’Ukraine et non la Russie qui était responsable de la destruction du barrage de Kakhovka. Et ce n’est pas un cas isolé. L’année dernière, la réaction de la Russie face aux preuves croissantes d’atrocités commises par ses forces à Bucha et dans d’autres villes proches de Kiev a consisté dans la demande d’une session du Conseil de sécurité afin de discuter des « provocations criminelles des militaires ukrainiens et des radicaux ». Elle a profité d’une autre session pour diffuser des informations erronées selon lesquelles l’Ukraine serait en train de développer des armes biologiques et chimiques avec le soutien des États-Unis.
Le double rôle absurde et intenable de la Russie - à la fois instigatrice d’un conflit et à la tête d’un organe censé le résoudre - a donné un nouvel élan à l’idée de réforme.
La Russie a même présidé le Conseil de sécurité en avril dernier, étant donné que la présidence tourne tous les mois entre les membres. Dans ce qui semble être des provocations délibérées, elle a utilisé son leadership pour organiser un débat sur la Charte des Nations Unies, l’accord même qu’elle a violé. Elle a aussi convoqué une session où Maria Lvova-Belova – une fonctionnaire russe qui, comme Poutine, fait l’objet d’un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale pour l’expulsion illégale d’enfants ukrainiens vers la Russie – a été invitée à prendre la parole.
La dernière présidence de la Russie avant cela avait eu lieu en février 2022, lorsqu’elle a choisi de lancer son invasion au cours d’une session du Conseil de sécurité. Elle semble déterminée à priver le Conseil de toute crédibilité restante.
L’importance des élections concurrentielles
Le fait que la Slovénie ait pu contester la tentative du Belarus d’obtenir un siège au Conseil du moins montre la nécessité d’organiser des élections concurrentielles ; le Belarus s’attendait à se présenter en tant que candidat sans opposition jusqu’en décembre 2021, quand la Slovénie s’est mise en avant. Cela signifie que les deux Etats ont dû s’exposer à un examen minutieux lors d’un débat tenu en mai où, comme on pouvait s’y attendre, la question du soutien du Belarus à la guerre de la Russie a été soulevée.
Mais les élections restent l’exception plutôt que la norme, tant pour le Conseil de sécurité comme pour le Conseil des droits de l’homme, qui n’a connu de concurrence que dans deux des cinq blocs l‘année dernière. La plupart du temps, les groupes régionaux se mettent d’accord sur un candidat commun qui se présente sans opposition. Dans la région Amérique latine et Caraïbes, par exemple, il n’y a eu qu’un seul vote concurrentiel au Conseil de sécurité depuis 2007.
Cela prive la société civile de ce qui devrait être une opportunité vitale de plaidoyer. Lorsque les élections sont concurrentielles, la société civile peut s’efforcer d’exposer les performances des États candidats en matière de droits humains, lancer des appels pour que ceux qui ont un meilleur bilan en matière de droits humains l’emportent et plaider pour que les États prennent des engagements s’ils parviennent à se faire élire.
L’espace civique est important pour les membres du Conseil de sécurité, car il permet aux citoyens de poser des questions à leurs gouvernements, de leur demander des comptes et de plaider en faveur de solutions alternatives. Si des États disposant d’un espace civique plus ouvert sont élus au Conseil, cela ouvre la voie à un plus grand engagement de la société civile et à un contrôle accru des décisions prises par les États sur les questions de paix et de sécurité. Mais lorsque les nouveaux membres prendront leurs fonctions au début de l’année 2024, un seul des 15 membres du Conseil, la Suisse, disposera d’un espace civique ouvert.
Parmi les cinq pays récemment choisis, l’Algérie devrait susciter une inquiétude particulière, compte tenu de la criminalisation permanente des activistes, des manifestants et des journalistes par l’État. On estime qu’environ 300 personnes sont actuellement emprisonnées pour avoir exercé leurs libertés civiques fondamentales. En promouvant sa candidature sans opposition, l’Algérie a mis en avant ses compétences en matière de lutte contre le terrorisme, alors que ses lois antiterroristes sont employées pour enfermer des militants pacifiques.
La façon actuelle de procéder a également tendance à bénéficier les voix les plus puissantes au sein des blocs régionaux. Il est rare qu’un État des Caraïbes en dehors de l’Amérique latine siège au Conseil. De même, aucun État insulaire du Pacifique n’en a jamais fait partie – bien qu’ils soient en première ligne du changement climatique, un facteur de conflit qui figure à l’ordre du jour du Conseil de sécurité, et bien que la région devienne de plus en plus centrale d’un point de vue géopolitique à mesure que la Chine et les États-Unis rivalisent pour y exercer de l’influence.
L’élan vers la réforme
La société civile réclame depuis longtemps une réforme de l’ONU, et notamment du Conseil de sécurité, afin de rendre l’organisation plus démocratique, plus efficace et plus responsable. Cela a donné lieu à certaines mesures positives, telles que des dialogues avec des organisations de la société civile organisés par certains des présidents tournants du Conseil au cours desquelles la société civile a pu poser des questions. Les idées de réforme sont soutenues par le secrétaire général des Nations Unies – mais il reste encore beaucoup à faire.
La guerre actuelle en Ukraine est loin d’être le premier grand échec du Conseil, qui est resté les bras croisés pendant les 12 années de conflit en Syrie. Mais le double rôle absurde et intenable de la Russie – à la fois instigatrice d’un conflit et à la tête d’un organe censé le résoudre – a donné un nouvel élan à l’idée de réforme.
Le droit de veto des cinq membres permanents constitue manifestement un problème majeur. Les États-Unis ont toujours opposé leur veto à des résolutions concernant Israël, tandis que la Russie a opposé son veto à des actions concernant des conflits dans lesquels elle est impliquée, généralement avec le soutien de la Chine. Plusieurs propositions de réforme se concentrent donc sur la réforme du veto. Nombre d’entre elles préconisent l’introduction d’une plus grande modération dans l’utilisation du veto, avec une plus grande clarté sur les cas où les vetos sont inacceptables.
En outre, il est nécessaire de démocratiser le Conseil. Pour de nombreux États, cela implique d’augmenter le nombre de ses membres ou d’ajouter des membres permanents, des États puissants comme le Brésil, l’Inde et le Japon étant désireux de rejoindre l’élite. L’année dernière, le président américain Joe Biden a défendu l’augmentation du nombre de membres. Ce projet du gouvernement américain semblent aller de l’avant, même s’il reste de nombreux obstacles à franchir.
Il est certain que le monde a beaucoup changé depuis le statu quo de l’après-Seconde Guerre mondiale reflété dans la composition permanente du Conseil, excluant les pays du Sud. Mais l’ajout de nouveaux États ne suffira pas à renforcer la démocratie et la redevabilité. La surveillance de la société civile est vitale et toute proposition de réforme du Conseil de sécurité est déficiente si elle n’offre pas à la société civile la possibilité de jouer un rôle plus important. Des élections régulières et concurrentielles ne résoudraient pas tous les problèmes, mais ce serait un début.
NOS APPELS À L’ACTION
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Les États devraient s’engager à organiser des élections concurrentielles pour les postes du Conseil de sécurité des Nations Unies, avec un engagement intégré de la société civile.
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Les membres permanents du Conseil de sécurité des Nations Unies devraient s’engager à modérer leur utilisation du droit de veto.
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Les propositions de réforme du Conseil de sécurité des Nations Unies devraient élargir les possibilités d’engagement de la société civile auprès du Conseil.
Photo de couverture par Eduardo Muñoz Alvarez/VIEWpress via Getty Images