L’Assemblée générale des Nations Unies a récemment demandé un avis consultatif de la Cour internationale de justice concernant les obligations des États en matière de changement climatique. Cette résolution historique a été menée par le Vanuatu, l’un des nombreux États insulaires du Pacifique menacés par l’élévation du niveau de la mer due au changement climatique. C’est le résultat d’une vigoureuse campagne mondiale menée par des jeunes insulaires du Pacifique. La société civile continue son plaidoyer pour que les États soumettent des déclarations écrites convaincantes à la Cour. Ainsi, elle espère d’obtenir un avis consultatif novateur qui pourrait influencer positivement les négociations sur le climat, encourager les États à prendre des engagements plus ambitieux et ouvrir la voie à d’autres victoires en matière de litiges sur le climat.

En tant que question de justice mondiale, la crise climatique a, à juste titre, fait son chemin jusqu’à la plus haute Cour du monde.

Le 29 mars 2023, l’Assemblée générale des Nations Unies (AGNU) a adopté à l’unanimité une résolution demandant à la Cour internationale de justice (CIJ) d’émettre un avis consultatif sur les obligations des États en matière de changement climatique. L’initiative a été menée par l’État insulaire du Pacifique de Vanuatu et coparrainée par 132 États. Elle a été activement soutenue par des réseaux d’organisations de base formées par des jeunes du Pacifique et du monde entier.

Cette victoire du mouvement climatique mondial intervient une dizaine d’années après l’échec de tentatives similaires menées par les États insulaires du Pacifique face à l’opposition farouche des principaux émetteurs de gaz à effet de serre. Mais cette fois-ci, les données scientifiques sont plus claires que jamais et le mouvement climatique a réussi à faire de la crise une priorité. Les défenseurs du climat commencent à remporter des victoires juridiques contre les gouvernements et les entreprises dans les tribunaux du monde entier. Ces efforts pourraient être d’autant plus renforcés par un avis de la CIJ. Il était temps.

Les questions posées à la CIJ

Eu égard en particulier à la Charte des Nations Unies, au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, à l’Accord de Paris, à la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, à l’obligation de diligence requise, aux droits reconnus dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, au principe de prévention des dommages significatifs à l’environnement et à l’obligation de protéger et de préserver le milieu marin :

  1. a) Quelles sont, en droit international, les obligations qui incombent aux États en ce qui concerne la protection du système climatique et d’autres composantes de l’environnement contre les émissions anthropiques de gaz à effet de serre pour les États et pour les générations présentes et futures ?
  2. b) Quelles sont, au regard de ces obligations, les conséquences juridiques pour les États qui, par leurs actions ou omissions, ont causé des dommages significatifs au système climatique et à d’autres composantes de l’environnement, à l’égard :
  3. i) Des États, y compris, en particulier, des petits États insulaires en développement, qui, de par leur situation géographique et leur niveau de développement, sont lésés ou spécialement atteints par les effets néfastes des changements climatiques ou sont particulièrement vulnérables face à ces effets ?
  4. ii) Des peuples et des individus des générations présentes et futures atteints par les effets néfastes des changements climatiques ?

 

Voir la résolution complète de l’AGNU, A/RES/77/276, ici.

La campagne de la société civile

Cette campagne est menée par des habitants des îles du Pacifique, pays subissant les conséquences extrêmes du changement climatique et dont de nombreuses îles risquent de disparaître sous l’effet de la montée du niveau des mers.

En 2019, un groupe d’étudiants en droit de l’Université du Pacifique Sud a créé Pacific Islands Students Fighting Climate Change (PISFCC), une organisation régionale avec des sections nationales à Fidji, aux Îles Salomon, à Tonga et à Vanuatu. Leur objectif était d’obtenir un avis de la CIJ et de l’utiliser pour développer le droit international sur les obligations légales en matière de traités environnementaux et de droits humains. Très rapidement, la PISFCC, qui cherche également à sensibiliser les jeunes, comptait des membres dans tous les États insulaires du Pacifique.

La PISFCC a commencé par plaider auprès du Forum des îles du Pacifique – l’organe régional clé – pour qu’il inscrive la demande d’avis de la CIJ à son ordre du jour. Le gouvernement du Vanuatu a annoncé qu’il demanderait un tel avis en septembre 2021. Les organisations de la société civile (OSC) du Pacifique ont alors exprimé leur soutien et leur volonté de faire campagne, formant une alliance : l’Alliance pour un avis consultatif sur la justice climatique. Celle-ci s’est élargie pour inclure des OSC et de nombreuses autres personnes du monde entier, y compris des rapporteurs spéciaux de l’ONU et des experts mondiaux.

La résolution de l’AGNU demandant un avis consultatif de la CIJ est le début d’une vague de changements dans la façon d’envisager la crise climatique et un rappel que le changement climatique ne respecte pas les frontières géopolitiques.

HAILEY CAMPBELL

La campagne a fait un usage intensif des réseaux sociaux. Les gens partageaient leurs histoires sur les impacts du changement climatique et soulignaient l’importance d’un avis de la CIJ pour aider à soutenir les appels à l’action climatique, dont notamment les litiges climatiques. Une chanson a également été produite pour le mouvement et diffusée à l’approche de la décision de l’AGNU.

La campagne a été organisée à l’échelle mondiale, par le biais du partage d’une boîte à outils utilisée par des activistes du monde entier. Des manifestations ont été organisées au niveau local. Au Vanuatu, où tout a commencé, des enfants ont manifesté en septembre 2022 afin d’attirer l’attention sur les effets du changement climatique, qui constituent la plus grande menace pour le développement de leur pays. Ils ont de plus exprimé leur soutien à la demande d’avis de la CIJ.

Avant la session de l’Assemblée générale des Nations Unies qui a adopté cette résolution historique, des milliers d’OSC du monde entier ont signé une lettre appelant les gouvernements à soutenir l’initiative.

Le rôle de la CIJ

Basée à La Haye, aux Pays-Bas, la CIJ est composée de 15 juges élus par l’Assemblée générale et le Conseil de sécurité des Nations Unies. Elle règle les différends juridiques entre les États et donne des avis consultatifs sur les questions juridiques qui lui sont soumises par d’autres parties du système des Nations Unies.

À cette occasion, les questions posées à la CIJ visent à clarifier les obligations des États, en vertu du droit international, de protéger le climat et l’environnement contre les émissions de gaz à effet de serre d’origine humaine. Elles portent également sur les responsabilités juridiques des États qui ont causé des dommages environnementaux importants à d’autres États, en particulier aux petites îles, ainsi qu’aux générations actuelles et futures.

Pour rendre son avis consultatif, la CIJ devra interpréter les obligations des États telles que décrites dans la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques de 1992, l’Accord de Paris de 2015, la Déclaration universelle des droits de l’homme, et divers pactes et traités internationaux. Elle peut prendre en compte des résolutions de l’AGNU sur le changement climatique, telles que la résolution adoptée récemment reconnaissant l’accès à un environnement propre, sain et durable comme un droit humain universel, ainsi que d’autres résolutions du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies. Les rapports du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme et de ses experts indépendants en matière de droits humains peuvent également être considérés, tout comme les décisions des organes de traités des Nations Unies et sa propre jurisprudence en matière de climat et d’environnement.

Des voix en première ligne

Hailey Campbell est une activiste climatique et codirectrice exécutive de Care About Climate, une OSC travaillant dans l’éducation climatique et l’autonomisation pour la justice climatique, ainsi qu’un réseau international de jeunes leaders du mouvement pour le climat qui cherchent à partager des solutions sur la scène internationale.

 

La résolution de l’AGNU demandant un avis consultatif de la CIJ est le début d’une vague de changements dans la façon d’envisager la crise climatique et un rappel que le changement climatique ne respecte pas les frontières géopolitiques. Les OSC environnementales, les jeunes leaders, les nations insulaires qui ont lancé l’appel à la résolution et le PISFCC nous rappellent que nous sommes tou.te.s des personnes avant d’être des activistes, des dirigeants de l’industrie des combustibles fossiles ou des politiciens. En tant qu’êtres humains, nous partageons tous cette magnifique planète, d’où il faut se soucier les uns des autres. Si certains dirigeants ne le reconnaissent pas, ils doivent être tenus redevables.

La résolution est également une célébration de l’innovation et de la persévérance des îles.

Mais ce n’est que la première étape. Avant que la CIJ ne puisse rendre son avis, les États et certaines organisations internationales, comme le Programme des Nations Unies pour l’environnement, seront invités à présenter des arguments écrits et oraux. Il est important que chacun continue à contacter les représentants nationaux et les organisations internationales sélectionnées pour soumettre des témoignages et émettre des avis. D’ailleurs, le PISFCC vient de lancer un manuel extraordinaire pour aider les décideurs politiques, les jeunes et les OSC environnementales à comprendre leur rôle, que je recommande vivement de consulter. Mon exemple préféré de ce manuel est celui de l’importance de partager avec vos représentants nationaux votre témoignage personnel sur les raisons pour lesquelles vous croyez en la nécessité d’un avis consultatif de la CIJ sur les droits climatiques, et sur l’impact qu’il pourrait avoir sur votre avenir. J’espère que tout le monde se sentira capable de me rejoindre au sein de l’Alliance pour se tenir au courant de comment avoir un impact.

 

Voici un extrait de notre conversation avec Hailey. Lisez l’intégralité de l’entretien ici.

Prochaines étapes

Conformément à son statut, la CIJ peut demander des déclarations écrites aux États ou aux organisations internationales susceptibles de disposer d’informations pertinentes sur la question en cause. Le 20 avril, la CIJ a communiqué sa décision selon laquelle l’ONU et tous ses États membres sont jugés « susceptibles de fournir des renseignements sur les questions soumises à la Cour » et leur a donné six mois pour présenter des exposés écrits. Après l’expiration de ce délai ils disposeront de trois mois pour formuler des observations écrites sur les exposés présentés par d’autres États ou organisations.

La société civile ne dispose pas du droit de soumettre des déclarations officielles, même si, depuis près de vingt ans, la CIJ lui octroie un rôle en traitant les soumissions informelles de la société civile comme des publications facilement accessibles auxquelles il est possible de se référer. Étant donné que la société civile n’a pas de rôle institutionnel, les défenseurs du climat invitent le plus grand nombre de personnes possible à plaider auprès de leurs gouvernements pour qu’ils soumettent des documents solides qui aboutiront à un avis progressiste de la CIJ.

Après la clôture des délais, la CIJ prendra vraisemblablement plusieurs mois pour délibérer, de sorte que son avis pourrait être attendu dans le courant de l’année 2024, plutôt vers la fin.

Les avis consultatifs ne sont pas contraignants. Ils n’imposent pas d’obligations aux États. Mais ils façonnent la compréhension globale des obligations des États en vertu du droit international et peuvent inciter les États à montrer qu’ils respectent des normes de plus en plus strictes.

En clarifiant les obligations des États, un avis de la CIJ pourrait influencer positivement les négociations sur le climat et faire avancer des initiatives longtemps retardées sur le financement des pertes et dommages. Il pourrait encourager les États à prendre des engagements plus ambitieux en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Il pourrait également contribuer à sensibiliser aux risques particuliers auxquels sont confrontés les petits États insulaires et fournir des arguments en faveur d’une action climatique plus forte, aidant ainsi les défenseurs du climat à gagner du terrain au sein des gouvernements.

Un avis consultatif progressif pourrait également contribuer à soutenir les litiges nationaux en matière de climat : des études montrent que les tribunaux nationaux sont de plus en plus enclins à citer les avis de la CIJ et d’autres sources de droit international, y compris lorsqu’il s’agit de déterminer les questions climatiques.

On ne peut exclure le risque d’un avis décevant de la CIJ qui se contenterait de réitérer le contenu des traités climatiques existants sans avancer sur les obligations des États. Mais les défenseurs du climat ont des raisons d’espérer beaucoup plus : beaucoup considèrent qu’il s’agit d’une occasion unique, due à leurs propres efforts persistants, de faire progresser la justice climatique et de faire pression pour que des mesures soient prises à la hauteur de l’ampleur de la crise.

NOS APPELS À L’ACTION

  • La société civile devrait poursuivre sa campagne en réseau pour encourager la présentation de déclarations écrites solides à la Cour internationale de justice.
  • Les États qui se présentent comme des champions du climat devraient exprimer publiquement leur soutien à des obligations plus contraignantes en matière de climat dans le cadre du droit international.
  • Les tribunaux nationaux devraient intégrer les avis de la Cour internationale de justice et d’autres sources de droit international en matière de droits humains.

Photo de couverture par Save the Children Vanuatu/Facebook