De plus en plus, les activistes s’adressent aux tribunaux pour obtenir la justice climatique – et ils gagnent. À la suite d’une décision de la Cour suprême, le Brésil est récemment devenu le premier pays à reconnaître l’accord de Paris comme un traité relatif aux droits humains. En Australie et en Afrique du Sud, la société civile a remporté des procès contre des entreprises extractives. Un tribunal britannique a estimé que le plan « zéro émission nette » du gouvernement était inadéquat et lui a ordonné d’en élaborer un meilleur. Des progrès ont également été réalisés au niveau international. Dans une décision historique, le Comité des droits de l’homme des Nations Unies a demandé au gouvernement australien de verser des compensations pour les dommages causés par le changement climatique, redonnant ainsi de l’espoir à ceux qui font pression pour que le financement des dommages causés par le changement climatique progresse lors de la COP27.

En septembre dernier, les milliers de jeunes mobilisés autour de la grève mondiale pour le climat lancée par Fridays for Future ont redoublé leurs efforts en réclamant des réparations pour les personnes les plus touchées par la crise climatique. Ils ont exigé que les pays riches compensent les dommages mondiaux qu’ils ont causés. Quelques semaines à peine avant la Conférence sur le changement climatique COP27, ils sont retournés dans la rue pour faire pression sur les dirigeants mondiaux afin qu’ils présentent un plan détaillé comprenant des objectifs, des cibles et des chiffres.

Ces dernières années les actions de rue, à savoir les manifestations de masse et la désobéissance civile non violente, ont contribué à faire de la crise climatique une priorité. Parallèlement, la société civile a fait de son mieux pour s’engager dans des processus multilatéraux tels que la série de sommets de la COP, y compris la prochaine réunion en Égypte en novembre prochain, afin de plaider en faveur d’engagements climatiques plus ambitieux de la part des États.

Mais les militants du climat ont de plus en plus recours à une tactique complémentaire : ils s’adressent aux tribunaux pour demander aux États et aux entreprises de rendre compte de leurs actions – et de leur inaction. Dans leur quête de justice climatique, ils se tournent vers les systèmes judiciaires aux niveaux national, régional et mondial.

Les avancées de 2022

Comme le documente le Grantham Research Institute on Climate Change and the Environment, les litiges liés au changement climatique n’ont cessé de croître au fil des années. À l’échelle mondiale, plus de 2 000 affaires ont été déposées depuis 2015, dont environ un quart entre 2020 et 2022.

Des plaintes ont été déposées non seulement contre des États, mais aussi contre des entreprises, en particulier des entreprises de combustibles fossiles, et le nombre de recours en justice introduits avec l’ambition de faire respecter les engagements des gouvernements en matière de droits humains a augmenté. Des affaires contentieuses réclamant une compensation financière pour les dommages causés au climat (en d’autres termes, demandant le versement de dommages et intérêts) ont également commencé à voir le jour. Ce qui, au départ, semblait être un phénomène essentiellement présent aux Etats-Unis, est désormais devenu une tendance mondiale.

Au début de cette année, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, l’organe des Nations Unies chargé de faire progresser les connaissances sur le changement climatique, a reconnu le rôle des litiges climatiques dans l’évolution des objectifs et l’amélioration des résultats dans le cadre de la gouvernance climatique.

En 2022, la société civile a remporté plusieurs victoires qui ont permis d’exposer le lien profond entre le changement climatique et les droits humains. Ces contentieux ont déterminé que les communautés doivent être consultées, traduisant les principes généraux en décisions applicables et s’attaquant au problème de l’attribution des responsabilités.

Avec sa région amazonienne vitale menacée, le Brésil est devenu un terrain d’essai fertile pour les litiges relatifs au climat. Cette année, le Tribunal suprême fédéral, statuant sur sa première affaire climatique, a fait du Brésil le premier pays au monde à reconnaître l’accord de Paris sur le changement climatique comme un traité sur les droits humains – une décision avec des implications considérables.

En Australie et en Afrique du Sud, la société civile a remporté des procès contre les géants de l’industrie extractive Santos et Shell. L’affaire australienne a eu des implications particulièrement fortes en ce qui concerne l’amélioration des normes de consultation des peuples autochtones sur les projets miniers.

Les organisations de la société civile (OSC) sud-africaines ont également gagné un procès contre leur gouvernement, avec un jugement qui reconnaît la pollution de l’air comme une violation des droits et ordonne au gouvernement de mettre en œuvre des réglementations priorisant davantage la gestion de la qualité de l’air.

Au Royaume-Uni, la société civile a obtenu gain de cause lorsqu’un tribunal a jugé la stratégie « Net Zero » du gouvernement inadéquate et lui a ordonné d’élaborer un plan plus détaillé pour garantir la mise en œuvre effective de sa loi sur le changement climatique (« Climate Change Act »), ainsi que la réalisation de ses objectifs.

Au niveau régional, la situation s’est améliorée. La Cour européenne des droits de l’homme a décidé de traiter en priorité une action en justice intentée par six jeunes militants portugais demandant des comptes à 33 États européens pour leur inaction face à la crise climatique.

Même une institution mondiale est entrée en jeu, puisque le Comité des droits de l’homme des Nations Unies a jugé le gouvernement australien responsable de la violation des droits des populations autochtones, en réponse à une plainte déposée par la société civile au nom des habitants de quatre îles au large des côtes australiennes.

Cette décision a montré clairement que si le changement climatique est un problème mondial, cela ne signifie pas que les responsabilités puissent être éludées. Elle a également montré aux personnes du monde entier que la justice climatique peut être poursuivie au niveau international lorsque les systèmes judiciaires nationaux ne peuvent pas ou ne veulent pas agir. Le fait que le Comité des droits de l’homme ait ordonné le versement d’une compensation aux personnes dont les droits ont été violés a également apporté une lueur d’espoir à ceux qui font pression pour faire progresser le financement des dommages et intérêts lors de la COP27.

L’Accord de Paris : un traité sur les droits humains

En juin, le Tribunal suprême fédéral du Brésil a conclu que l’accord de Paris était un traité relatif aux droits humains au regard du droit brésilien et a ordonné au gouvernement de réactiver le Fonds Climat et de débloquer les ressources qui avaient été retenues pour contribuer à atténuer les effets du changement climatique.

L’action en justice avait été intentée par quatre partis politiques et soutenue par plusieurs OSC, dont quatre avaient fourni un soutien juridique et technique et présenté des mémoires d’amicus curiae. Cette affaire, comme d’autres affaires liées au climat, a été introduite par des partis politiques car c’est la seule façon de porter les allégations de violations de droits fondamentaux directement devant le Tribunal suprême.

Les plaignants ont fait valoir que le Fonds Climat, créé en 2009, n’était plus opérationnel depuis 2019. Le gouvernement du Président Jair Bolsonaro, qui nie le réchauffement climatique, a échoué à plusieurs reprises dans l’élaboration des plans annuels et dans le financement de projets visant à atténuer le changement climatique.

En septembre 2020, le Tribunal suprême a tenu une audience à laquelle ont participé des scientifiques, des universitaires, la société civile et des représentants de groupes autochtones. Le Tribunal a constaté dans son arrêt que la déforestation croissante de l’Amazonie brésilienne était une source importante d’émissions carbone du Brésil, cinquième pays plus émetteur de carbone au monde. Elle a également identifié le Fonds Climat comme le principal outil dont dispose le gouvernement brésilien pour réduire ses émissions. Le refus d’utiliser le Fonds Climat a été considéré comme une violation par omission de la Constitution brésilienne, car celle-ci établit « le droit à un environnement écologiquement équilibré, un bien d’usage commun pour le peuple et essentiel à une qualité de vie saine », et exige donc que l’État « le défende et le préserve pour les générations présentes et futures ».

Les enjeux de cette décision sont clairs et d’une grande envergure. En tant que traité relatif aux droits humains, l’Accord de Paris acquiert le statut juridique d’amendement constitutionnel, supérieur à la législation ordinaire. Dorénavant, toute loi adoptée par le Congrès brésilien et toute politique conçue par le gouvernement brésilien qui entrent en conflit avec l’Accord de Paris seront considérées comme inconstitutionnelles et donc non valables. Il incombera aux tribunaux d’examiner de plus près chaque loi et chaque politique pour s’assurer de leur conformité avec l’Accord de Paris.

Les voix de ceux en première ligne

Daniela Silva est cofondatrice du projet Aldeias, un projet éducatif, artistique, culturel et environnemental destiné aux enfants et aux jeunes de la municipalité d’Altamira, dans l’État brésilien du Pará.

 

L’Accord de Paris est sans aucun doute un instrument juridique important, et il est bon que, en tant que traité sur les droits humains signé par l’État brésilien, il ait acquis un statut constitutionnel. Mais comme tous les documents juridiques brésiliens, y compris la Constitution fédérale, il doit être pleinement mis en œuvre, en particulier par les gestionnaires publics qui continuent de violer les droits humains et de l’environnement, indépendamment de ce qu’énoncela Constitution brésilienne.

Pour que l’accord de Paris soit mis en œuvre et ait un impact sur la vie quotidienne des Brésiliens, il doit être diffusé auprès des personnes qui souffrent le plus de la crise climatique : les populations autochtones, les riverains des fleuves et les communautés noires des banlieues des villes. Il est également important que la communauté internationale prenne des mesures décisives et fasse pression sur le gouvernement brésilien pour qu’il respecte réellement l’accord.

Les élections d’octobre seront peut-être parmi les plus importantes de l’histoire du Brésil. La région amazonienne représente un grand enjeu. Bolsonaro, le président sortant, a déclenché une déforestation incontrôlée, l’accaparement de terres et l’exploitation minière illégale sur les terres autochtones. Il encourage également la violence contre les défenseurs des droits humains et de l’environnement en Amazonie.

Avec Bolsonaro, il n’y a aucune possibilité de dialogue ni d’implication de la société civile organisée dans la prise de décision sur les questions environnementales. Si Bolsonaro reste président du Brésil, c’est une menace pour l’Amazonie ainsi que pour ses habitants, et donc pour l’humanité toute entière. Nous vivons une crise climatique mondiale et pour y faire face il faut que les dirigeants mondiaux mettent en place des solutions à court, moyen et long terme en travaillant aux côtés de la société civile, des scientifiques et de la communauté internationale.

 

Ceci est un extrait édité de notre conversation avec Daniela. Lisez l’entretien complet (en anglais) ici.

La Cour suprême du Brésil a actuellement au moins deux autres affaires climatiques en cours : l’une exigeant la mise en œuvre correcte du plan d’action pour la prévention et le contrôle de la déforestation en Amazonie, et l’autre dénonçant l’incapacité du gouvernement à gérer correctement le Fonds amazonien, une initiative de préservation des forêts.

En même temps, les OSC qui ont soutenu le procès contre le gouvernement brésilien sont aussi impliquées dans les procès intentés par l’État contre les entreprises. L’Observatoire du climat, par exemple, s’est joint aux procédures judiciaires de l’État contre les groupes privés responsables de la déforestation amazonienne à grande échelle.

Les gouvernements tenus redevables

En mars, les OSC climatiques GroundWork et Vukani Environmental Justice Movement in Action ont gagné un procès contre le gouvernement sud-africain. Le jugement a reconnu la pollution de l’air, un problème majeur en Afrique du Sud, comme une violation des droits constitutionnels, et a forcé le gouvernement à mettre en œuvre des réglementations donnant la priorité à la gestion de la qualité de l’air dans la région de Mpumalanga Highveld.

Les militants du climat, représentés par le Centre for Environmental Rights, une organisation d’avocats militants, ont introduit leur litige #DeadlyAir en 2019 pour exiger du gouvernement qu’il assainisse l’air toxique de Mpumalanga. Les juges ont estimé que lorsque la qualité de l’air ne répond pas aux normes nationales, il existe une violation du droit à un air sain et le ministre de l’Environnement a donc l’obligation légale d’adopter et de faire appliquer des réglementations sur la qualité de l’air.

Selon le directeur de GroundWork, l’arrêt est d’une grande importance dans la mesure où il reconnaît le droit à un air sain comme « concrétisable ici et maintenant, et non progressivement dans le temps ».

Au Royaume-Uni, la victoire de la société civile illustre cette catégorie grandissante de ce que l’on appelle en anglais les « framework cases », à savoir des procès contestant l’ambition d’un gouvernement de répondre au changement climatique ou son inaction dans face à l’ambition déclarée.

En juillet, la Haute Cour a statué contre le gouvernement britannique dans une affaire introduite par des groupes tels que Client Earth, Friends of the Earth et le Good Law Project. La Cour a fait valoir que la stratégie « zéro émission nette » du gouvernement était inadéquate car elle était trop vague pour garantir la réalisation des objectifs définis dans la loi britannique sur le changement climatique, et a ordonné au gouvernement d’élaborer une stratégie plus détaillée qui sera soumise à l’examen du Parlement et du public.

Le jugement a été un embarras politique pour le gouvernement, qui lors de l’énonciation de la stratégie en octobre 2021 (et avant d’accueillir la COP26 le mois suivant) avait tenté de présenter le Royaume-Uni comme un leader en matière de climat. La société civile britannique va maintenant s’efforcer de maintenir la pression pour que le jugement soit respecté par le gouvernement de la nouvelle Première ministre Liz Truss, qui s’est déjà engagé à extraire davantage de pétrole et de gaz.

Les entreprises au centre de l’attention

En septembre, les habitants des îles Tiwi en Australie ont gagné un procès devant la Cour fédérale contre la société privée Santos. Ils ont introduit ce procès en raison des effets économiques, environnementaux, culturels et spirituels potentiellement néfastes du projet de forage gazier de Barossa, dans la mer de Timor.

Les communautés traditionnelles ont affirmé que le projet mettait en danger non seulement leurs sources d’alimentation, mais aussi leur lien spirituel ancestral avec la mer. Le Bureau des défenseurs de l’environnement (EDO) a fait valoir que l’approbation du projet était illégale car Santos n’avait pas consulté de manière adéquate le clan autochtone de Munupi comme l’exige la loi et n’avait pas fourni d’informations suffisantes au Conseil foncier de Tiwi.

La décision de la Cour s’est concentrée sur une question de procédure substantielle : ce que la société avait essayé de faire passer pour « consultation » avec les communautés locales ne visait pas en fait l’obtention d’un consentement libre, préalable et éclairé et ne donnait pas aux communautés la possibilité de refuser. L’approbation a donc été retirée et le projet a été suspendu.

En septembre également, des militants écologistes sud-africains ont gagné un procès contre Shell. Un tribunal de Makhanda, dans la province du Cap-Oriental, a confirmé l’interdiction des ondes sismiques pour l’exploration pétrolière et gazière au large des côtes de l’océan Indien, qui, selon les militants, aurait un impact potentiellement néfaste sur les baleines et autres espèces marines.

L’action en justice avait été déposée par plusieurs OSC de défense de l’environnement et des droits humains ainsi que par des organisations représentant des communautés traditionnelles et des pêcheurs artisanaux, dont Green Connection et Sustaining the Wild Coast.

On nous a retiré le droit de consentir ou de refuser, alors nous avons poursuivi Shell en justice - et nous avons gagné.

SINEGUGU ZUKULU

Par cette décision, le tribunal a annulé une décision de 2014 accordant au géant de l’énergie le droit d’explorer le pétrole et le gaz dans les zones d’exploration d’Algoa et de Transkei, au large des côtes de l’Afrique du Sud.

L’arrêt a également eu un impact sur le gouvernement sud-africain, qui avait soutenu le projet de Shell et critiqué ceux qui s’y opposaient, les accusant d’entraver les investissements dans le développement du pays.

Les voix de ceux en première ligne

Sinegugu Zukulu est directeur de programme de Sustaining the Wild Coast, une OSC sud-africaine qui travaille avec les communautés côtières du Mpondoland oriental, en Afrique du Sud, pour protéger leurs terres, leurs moyens de subsistance et leur culture.

 

Nous voulions que le permis d’exploration de Shell soit révoqué parce que nous y voyions une menace pour nos moyens de subsistance et pour l’environnement. Il suffit de rechercher sur Google ce qui s’est passé avec Shell dans l’Ogoniland au Nigeria pour comprendre nos préoccupations. Nous ne voulons pas de déversement de pétrole sur nos côtes.

Mais comme tout autre gouvernement, l’Afrique du Sud veut attirer les investissements, notamment ceux des multinationales telles que Shell, avec qui elle entretient d’excellentes relations. C’est pour cette raison que notre action en justice nous a opposé non seulement à Shell mais aussi à notre gouvernement.

La campagne de délégitimation du gouvernement a constitué un défi majeur. Le ministère des Ressources Minières et de l’Énergie nous a qualifiés d’« anti-développement ». Le gouvernement a refusé de nous écouter et d’entamer un dialogue ouvert sur l’impact potentiellement négatif de Shell sur les communautés côtières.

L’Afrique du Sud dispose d’une bonne législation environnementale, mais son application est insuffisante. C’est sur ce point que le mouvement environnemental se concentre. La loi est très claire : notre Constitution garantit le droit à un environnement sûr et sain. Nous devons être consultés dès que quelqu’un veut faire quelque chose sur nos terres, et ça n’a pas été le cas. On nous a retiré le droit de consentir ou de refuser, alors nous avons poursuivi Shell en justice – et nous avons gagné.

La société civile sud-africaine jouit des libertés nécessaires pour défier le gouvernement devant les tribunaux. Mais les ressources financières étaient cruciales. Nous n’avions pas d’argent pour nous rendre dans les communautés et les mobiliser. Nous avons donc effectué tout notre travail de mobilisation par le biais des médias sociaux, où nous avons fourni des informations, publié des communiqués de presse et partagé des vidéos. Nous avons dû chercher un cabinet d’avocats capable et ayant la volonté de porter l’affaire en justice, et qui accepterait de prendre le risque même si les ressources financières étaient insuffisantes. Heureusement, nous avons pu trouver plusieurs cabinets d’avocats qui étaient prêts à venir à notre secours. Il s’agit de cabinets qui donnent la priorité aux questions de droits humains et qui soutiennent les actions en justice des communautés autochtones. Heureusement, les juges ont exigé que Shell et notre gouvernement paient nos frais de justice.

Cette victoire est très importante pour notre droit à l’autodétermination tel qu’il est garanti par les Nations Unies, car elle indique clairement que le consentement préalable, libre et éclairé doit toujours être recherché. Notre droit constitutionnel à un environnement sûr et sain a également été ratifié.

 

Ceci est un extrait édité de notre conversation avec Sinegugu. Lisez l’entretien complet (en anglais) ici.

Litiges au niveau européen

En juillet, une action en justice contre 33 États, à savoir les 27 membres de l’Union européenne ainsi que la Norvège, la Russie, la Suisse, la Turquie, l’Ukraine et le Royaume-Uni, a saisi la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’homme. Cette action tendant à ce que ces Etats soient tenus responsables pour l’insuffisance de leurs efforts dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre sera traitée comme urgente devant un panel de juges de haut niveau qui examine les affaires graves liées à l’interprétation de la Convention européenne des droits de l’homme ou d’autres protocoles relatifs aux droits humains.

La plainte a été déposée il y a deux ans par six jeunes militants portugais pour le climat, dont trois âgés de moins de 18 ans, représentés par le Global Legal Action Network, une OSC internationale de défense des droits humains. 30 000 dollars américains ont été collectés par le biais du crowdfunding. Les jeunes plaignants ont expliqué qu’ils avaient décidé de poursuivre leur gouvernement en justice parce qu’ils estimaient que seulement par ce biais ils pourraient le contraindre à respecter ses engagements qui autrement seraient vides de sens et à les prendre au sérieux. Le groupe fait valoir que les incendies de forêt qui ravagent le Portugal chaque année depuis 2017, et qui ont touché personnellement certains d’entre eux, sont le résultat direct du changement climatique, tout comme les tempêtes qui ont mis en risque de dommage ou de destruction la maison de deux d’entre eux, située sur la côte. En tant que jeunes qui devront pendant des décennies vivre avec les impacts des décisions irresponsables d’aujourd’hui, les plaignants ont dénoncé les choix inconsidérés et injustes des dirigeants actuels, qui ne consultent pas ceux dont l’avenir est compromis.

Si la Cour leur donne raison, les gouvernements concernés seront légalement tenus non seulement d’accélérer la réduction de leurs émissions nationales, mais aussi de s’attaquer à celles dont ils sont responsables dans d’autres pays. Cela inclut donc aussi les émissions des firmes multinationales dont le siège se trouve sur leur territoire.

Climat et droits humains au niveau des Nations Unies

En septembre, le Comité des droits de l’homme des Nations Unies, un organe d’experts chargé d’assurer le respect du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), a jugé le gouvernement australien responsable de la violation du droit des populations autochtones à « jouir de leur culture et à ne pas subir d’immixtions arbitraires dans leur vie privée, leur famille et leur domicile ». Le Comité a estimé que cette violation résultait de l’incapacité du gouvernement à prendre des mesures adéquates d’adaptation, de résilience et de défense afin de réduire les émissions.

Cette décision révolutionnaire fait suite à une plainte déposée trois ans plus tôt par l’organisation juridique environnementale ClientEarth au nom de 14 personnes autochtones – huit adultes et six enfants – de Boigu, Masig, Poruma et Warraber, quatre îles de faible altitude situées au large de la côte nord de l’Australie.

Le Comité a demandé au gouvernement australien d’indemniser les personnes autochtones des quatre îles pour les préjudices qu’ils ont subis, d’engager des consultations sérieuses pour évaluer leurs besoins et de prendre des mesures pour garantir le maintien de la sécurité de leurs communautés. À l’échelle mondiale, cette décision est importante car elle pourrait normaliser le financement des dommages et intérêts.

Bien que le PIDCP ne dispose pas de dispositif contrôlant l’application de ses protocoles, les États qui l’ont signé et ratifié, se soumettant ainsi à l’examen du Comité des droits de l’homme, ont tendance à se conformer à ses décisions. L’Australie est l’un de ces États. Le suivi de cette décision est le prochain grand test pour le nouveau gouvernement australien, arrivé au pouvoir en mai à l’issue d’élections où le changement climatique était un enjeu central. Ce gouvernement a également adopté la première législation climatique du pays depuis dix ans.

Le chemin vers la justice climatique

La répétition interminable de phénomènes météorologiques extrêmes, tels que les inondations catastrophiques au Pakistan, en Afrique du Sud et en Europe centrale, les vagues de chaleur terribles en Inde et dans toute l’Europe, les feux de forêt hors de contrôle au Portugal et au Liban ainsi qu’en Turquie, pour ne citer que quelques exemples d’urgences récentes, montre clairement que la crise climatique est une réalité actuelle et qu’il est temps d’agir.

Voilà ce que fait la société civile : tout en agissant sur le terrain pour tenter d’atténuer les souffrances humaines causées par ces catastrophes d’origine humaine, elle fait pression sur les gouvernements et les entreprises pour qu’ils fassent les bons choix, et pour qu’ils mettent en œuvre des mesures de protection lorsque tel n’est pas le cas.

Les manifestations de rue ont créé de nombreux succès. Répondant à cette pression, les dirigeants politiques ont été contraints de prêter attention. Plusieurs d’entre eux ont fait ce que la société civile leur demandait et ont écouté les scientifiques.  En outre, certains ont accordé à la société civile un accès – souvent très limité – aux espaces de décision aux niveaux national, régional et international. Cependant ils ont aussi fait beaucoup de déclarations d’intention sur l’urgence climatique sans pour autant effectuer de grands changements dans les politiques et les résultats.

En saisissant les tribunaux, la société civile oblige les négationnistes climatiques comme Bolsonaro à faire face à la réalité du changement climatique et à agir en conséquence, et oblige ceux qui se présentent comme champions du climat, tels que le gouvernement britannique, à respecter leurs propres engagements. Les gouvernements qui se vantent de leurs objectifs « zéro émission nette » et les entreprises qui investissent massivement dans les stratégies de marketing d’écoblanchiment savent désormais qu’ils sont observés de près et qu’on attend d’eux qu’ils joignent le geste à la parole. Sinon ils doivent s’attendre à se retrouver devant les tribunaux.

Dernièrement, les percées en matière de litiges climatiques montrent que la stratégie de coalitions larges de la société civile fonctionne, lui permettant d’aborder une question aussi complexe que le changement climatique sous autant d’angles différents que possible. Les litiges climatiques ne remplacent pas les autres formes d’action de la société civile, mais constituent une stratégie complémentaire essentielle pour tirer le meilleur parti des efforts collectifs.

En adoptant le cadre des droits humains pour traiter les affaires climatiques, les tribunaux ordonnent également des compensations financières et des restitutions pour les violations de droits liées au climat. La société civile continuera à prôner les négociations à propos du climat, travaillant avec les États coopératifs afin de faire pression pour obtenir de réels progrès sur le financement des dommages et intérêts lors de la COP27. Tout cela tend vers une accélération de l’action vers la justice climatique mondiale, et c’est justement cela que craignent les États et les entreprises qui résistent au changement depuis si longtemps.

NOS APPELS À L’ACTION

  • La société civile doit intensifier le travail en coalition pour faire avancer la justice climatique par toutes les tactiques disponibles, y compris les litiges.
  • Les tribunaux devraient donner la priorité aux affaires liées au climat, adopter une approche fondée sur les droits humains et s’efforcer de normaliser l’idée de réparations pour les dommages causés.
  • Les États du Nord global doivent faire face à leur responsabilité historique et s’engager à réaliser de véritables progrès en matière de financement des dommages et intérêts lors de la COP27.

Photo de couverture par Horacio Villalobos/Corbis via Getty Images