La dernière instance de scrutin visant à sélectionner les nouveaux membres du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies a vu l’échec de la tentative de la Russie de retrouver une place au sein de cet organe. Cette défaite laisse espérer que les États avec un épouvantable bilan en matière de droits humains ne pourront pas blanchir leur réputation en siégeant au Conseil. Mais dans le même temps, certains violateurs systématiques des droits humains, dont la Chine et Cuba, ont réussi à se faire élire, et la majorité de membres du Conseil restreignent sévèrement l’espace de la société civile. En raison des élections non concurrentielles dans la plupart des blocs régionaux, la société civile s’est à nouveau vue refuser la possibilité de plaider pour que l’adhésion au Conseil soit conditionnée au respect des droits humains.

La communauté internationale des droits humains peut pousser un petit soupir de soulagement. La tentative de la Russie de réintégrer le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies (ONU), le principal organe de défense des droits humains au monde, a échoué.

Lors du vote de nomination des nouveaux membres, le 10 octobre, la Russie est arrivée loin derrière dans la course au choix de deux membres du Conseil originaires d’Europe centrale et orientale. Chaque État membre des Nations Unies ayant le droit de vote, les concurrents que sont la Bulgarie, avec 160 voix, et l’Albanie, avec 123 voix, ont terminé loin devant la Russie, avec 83 voix. Ce résultat signifie qu’il n’y aura pas de retour rapide de la Russie au Conseil des droits de l’homme, dont elle a été suspendue en avril 2022 en réponse à sa guerre contre l’Ukraine.

Cela aurait été ridicule si la Russie avait été autorisée à rejoindre le Conseil. Vladimir Poutine fait actuellement l’objet d’un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale pour crimes de guerre en raison de l’enlèvement et du transfert d’enfants ukrainiens vers la Russie. Son pays fait l’objet d’une surveillance accrue de la part des Nations Unies, le Conseil ayant voté l’année dernière en faveur de la création d’une commission d’enquête internationale indépendante sur l’Ukraine et d’un rapporteur spécial sur les droits humains en Russie. Le dernier rapport de la Commission a trouvé des preuves persistantes que les forces russes commettent des crimes de guerre, y compris le recours généralisé et systématique à la torture et à la violence sexuelle.

En vertu de la résolution qui a institué le Conseil des droits de l’homme en 2006, les États sont censés, lors du vote, « tenir compte de la contribution des États candidats à la promotion et à la protection des droits de l’homme ». Une fois élus, les membres du Conseil sont tenus de « respecter les normes les plus élevées en matière de promotion et de protection des droits de l’homme » et de « coopérer avec les mécanismes du Conseil ». On ne voit pas comment la Russie pourrait s’y conformer.

Ce vote signifie que le gouvernement russe s’est vu refuser une plate-forme essentielle pour promouvoir sa perspective opportune de redéfinition des droits humains par les dirigeants nationaux. Si sa demande avait abouti, le gouvernement russe aurait en effet pu affirmer que les critiques à l’encontre de son bilan en matière de droits humains ne provenaient que d’États occidentaux poursuivant un objectif politique. Mais le fait est qu’elle a été rejetée par une majorité des États membres – dont la plupart provenant su Sud global – de l’Assemblée générale des Nations Unies, organe suprême de la communauté internationale.

Les États abuseurs de droits sur le devant de la scène

Or, les nouvelles sont loin d’être toutes bonnes. Certains États responsables de crimes atroces et répresseurs des droits fondamentaux de la société civile à s’organiser, à protester et à s’exprimer siégeront au Conseil en janvier prochain. Neuf des 15 nouveaux membres imposent de sérieuses restrictions à l’espace civique.

Les États qui imposent de sérieuses restrictions à l’espace civique conservent leur majorité.

La Chine est en tête de file. Elle réduit systématiquement au silence les dissidents, notamment par le biais de détentions massives, de censure et de surveillance omniprésente. Elle a mené une longue campagne de répression contre les défenseurs de la démocratie à Hong Kong et a commis des violations flagrantes des droits humains à l’encontre de la population musulmane de la région du Xinjiang.

Il en va de même pour Cuba, l’autre État réélu au Conseil dont l’espace civique est fermé. Il s’agit d’un État totalitaire où le contrôle social est omniprésent, où les dissidents sont régulièrement emprisonnés et où les manifestations se voient sévèrement réprimées.

Au Burundi, un climat de peur alimente l’autocensure, les lois limitent considérablement la capacité des organisations de la société civile à opérer et le parti au pouvoir n’a guère rendu compte des violations massives des droits humains qu’il a commises par le passé. Le bilan du Koweït n’est pas meilleur : les activistes en ligne sont criminalisés et la communauté apatride des Bedoon ainsi que ceux qui défendent leurs droits sont persécutés. L’Indonésie, quant à elle, voit son espace civique se détériorer : les lois sur la diffamation criminalisent la dissidence, la police fait un usage brutal de la force contre les manifestants et les militants pour l’indépendance de la région de Papouasie font fréquemment l’objet de harcèlement, d’intimidation et de poursuites.

Le résultat du dernier tour de scrutin est un Conseil où l’équilibre s’est légèrement déplacé en faveur des États disposant d’un espace civique plus ouvert – mais les États qui imposent de sérieuses restrictions à l’espace civique conservent leur majorité. En raison de la réélection de la Chine et de Cuba, il semblerait que l’alliance répressive des États qui se protègent mutuellement et rejettent tout contrôle au nom de la souveraineté maintiendra sa force.

Élections non concurrentielles

Cela s’explique notamment par le fait que la plupart des États siègent au Conseil sans opposition. Le Conseil compte 47 membres avec un mandat de trois ans et une rotation d’environ un tiers chaque année, bien que les États puissent se présenter pour un second mandat, comme l’ont fait la Chine, Cuba, la France et le Malawi cette fois-ci. Les sièges sont attribués à chacun des cinq blocs régionaux des Nations Unies : Afrique, Asie et Pacifique, Europe centrale et orientale, Amérique latine et Caraïbes, et Europe occidentale et autres États.

Les élections sont rarement concurrentielles. Cette fois-ci, le résultat n’était en jeu que dans deux régions. En effet, les régions Afrique, Asie et Europe occidentale et autres États ont présenté des listes fermées, ne désignant qu’autant de candidats que de sièges disponibles. En Europe centrale et orientale, la concurrence a été cruciale pour empêcher la Russie d’obtenir un siège. En revanche, en Amérique latine et dans les Caraïbes, la concurrence a donné des résultats décevants : Cuba est arrivé en tête du scrutin avec 146 voix, vainquant ainsi le Pérou.

Cuba mis à part, les résultats des votes reflètent dans une certaine mesure une tentative de la société civile et des États plus démocratiques de faire peser la situation de droits humains dans les décisions de vote. La campagne concertée visant à réduire le niveau de soutien à la Chine semble avoir eu un certain impact : la Chine a obtenu moins de voix que les trois autres États asiatiques dans sa course fermée, tandis que le Burundi est également arrivé en dernière position dans le groupe africain. Certains États ont exercé le seul choix possible, à savoir de s’abstenir plutôt que d’approuver. La Russie n’a obtenu qu’une lointaine troisième place, même s’il est préoccupant de constater que 83 États se sont manifesté en sa faveur, et que 164 États ont soutenu la Chine.

La société civile continue de réclamer des élections véritablement concurrentielles dans chaque bloc régional, ainsi qu’un examen et une discussion plus approfondis du bilan des États candidats en matière de droits humains. Si l’adhésion de Cuba montre que la concurrence n’est pas une solution miracle, elle élargit au moins le champ d’action de la société civile.

Les violations des droits humains persistent

On pourrait faire valoir que l’incorporation d’États ayant des pratiques régressives en matière de droits humains les expose à un examen plus approfondi de leur bilan en matière de droits humains et les oblige à se conformer à des normes plus strictes. Mais cela est discutable dans le contexte actuel.

Le Vietnam a rejoint le Conseil lors des dernières élections il y a un an, mais son triste bilan en matière de droits humains s’est encore détérioré depuis, avec une récente série d’emprisonnements de défenseurs de l’environnement. On pourrait en dire autant de l’Inde, qui a rejoint le Conseil l’année précédente mais qui continue de s’attaquer aux droits humains en toute impunité, comme l’a montré ce mois-ci l’assaut contre les libertés des médias, avec des raids coordonnés sur 40 sites de personnes associées à l’organe de presse NewsClick, et la détention de cadres supérieurs. Depuis que le Soudan a rejoint le Conseil, un conflit a éclaté entre des factions militaires qui ont commis de nombreuses atrocités, coûté des milliers de vies et forcé des millions de personnes à fuir.

Et puis il y a la Chine. À l’occasion de la semaine d’ouverture de l’Assemblée générale des Nations Unies le mois dernier, le représentant de la Chine a parlé de la nécessité de faire progresser les droits humains par le dialogue et la coopération – ce qui correspond tout à ce que l’on peut espérer de la part d’un État qui conserve sa place au sein du Conseil des droits de l’homme.

Mais ces paroles étaient vides de sens. L’année dernière, l’ONU a publié son rapport d’enquête sur les violations systématiques des droits humains commises par la Chine au Xinjiang. Le rapport a trouvé des preuves crédibles de torture, de violence sexuelle et sexiste, de contrôle forcé des naissances, de détention arbitraire et discriminatoire et de discrimination fondée sur la religion et l’origine ethnique. Le rapport conclut que ces actes pourraient constituer des crimes au regard du droit international. Le gouvernement chinois a réagi en faisant tout ce qui était en son pouvoir pour empêcher la publication du rapport. Et lorsqu’il n’a réussi qu’à la retarder, il a tenté par tous les moyens disponibles de persuader les États d’empêcher que le rapport soit discuté. En octobre dernier, le Conseil s’est prononcé à quelques votes près contre une résolution visant à organiser un débat sur le rapport. La Chine a réussi à utiliser son rôle au sein du Conseil pour empêcher le débat et la surveillance des droits humains au lieu de les promouvoir. Rien n’indique que cela changera cette fois-ci.

Un bilan mitigé

En ce qui concerne le contenu des discussions du Conseil des droits de l’homme lors de sa dernière session, les résultats sont mitigés. Il y a eu un renouvellement bienvenu des mandats de certains rapporteurs spéciaux clés – des experts indépendants qui surveillent et conseillent sur des situations spécifiques en matière de droits humains – notamment sur l’Afghanistan, le Cambodge et la Russie.

La résolution sur l’Afghanistan a fait écho à plusieurs demandes de la société civile, notamment le rétablissement du ministère des affaires féminines et de l’institution nationale des droits humains, abolis par les talibans, et la mise en place d’un environnement favorable à la société civile. Le Conseil a adopté une résolution forte sur le Burundi, qui reflète largement les demandes de la société civile et renouvelle le mandat du rapporteur spécial. Le Conseil a également voté en faveur de la création d’une commission d’enquête sur les violations des droits humains commises dans le cadre du conflit au Soudan.

Mais dans de nombreux cas, les résolutions étaient moins fortes que ce que la société civile avait demandé. Pire encore, rien n’a été dit sur la Chine cette fois-ci, ce qui signifie que le Conseil a fait encore moins que l’année précédente, où il y avait au moins eu un vote. Une fois de plus, le Conseil n’a pas réagi de manière adéquate à la situation des droits humains dans le contexte du conflit au Yémen. Il est décevant de constater que le mandat de la Commission internationale d’experts en droits humains sur l’Éthiopie, établie il y a deux ans en réponse au conflit dans la région du Tigré, a expiré sans qu’un vote n’ait eu lieu pour décider de son renouvellement. Cette décision a été prise en dépit du fait que le dernier rapport de la commission fait état de violations « graves et systématiques » des droits humains, qui se poursuivent malgré l’accord de paix conclu en novembre dernier.

Le gouvernement éthiopien, qui, plus tôt dans l’année, avait réussi à faire pression pour qu’une initiative similaire de la Commission africaine des droits humains et des peuples soit abandonnée, a obtenu gain de cause, mettant fin à la surveillance internationale des nombreuses violations des droits humains commises alors que le conflit continue de s’enflammer.

Malgré ces revers, la société civile continuera à saisir toutes les occasions qui s’offrent à elle pour s’engager auprès du Conseil des droits de l’homme et tenter de l’influencer. Elle continuera à utiliser ses mécanismes pour défendre et promouvoir les droits humains, à plaider pour que les États fassent mieux, à dénoncer leurs violations de droits et à leur demander des comptes. Les États doivent reconnaître le rôle fondamental de la société civile dans la réalisation des objectifs du Conseil et dans l’amélioration de son efficacité. L’ouverture du processus électoral à une plus grande concurrence et à un contrôle accru de la part de la société civile serait un pas en avant très utile.

NOS APPELS À L’ACTION

  • Les membres du Conseil des droits de l’homme devraient s’engager à respecter les normes les plus élevées en matière de promotion et de protection des droits humains et à coopérer pleinement avec le système des droits humains des Nations Unies.
  • Tous les blocs régionaux devraient accepter d’organiser des élections concurrentielles pour les postes du Conseil des droits de l’homme et permettre à la société civile d’exercer un contrôle dans le cadre de ce processus.
  • Le Conseil des droits de l’homme devrait avoir la possibilité et la capacité de réagir rapidement à des situations urgentes où de graves violations des droits humains commencent à se produire.

Photo de couverture par Fabrice Coffrini/AFP via Getty Images