« L’accaparement des terres bénéficie d’un système judiciaire extraordinairement lent et complice »
CIVICUS échange avec Sinomme Saint Claire (Dieubon) au sujet des attaques contre son organisation, Alternatif Action Vert (AVV), une organisation paysanne de base qui soutient les communautés agricoles dans la région de la péninsule sud d’Haïti.
AVV a récemment été la cible d’un groupe mafieux cherchant à s’approprier les terres des agriculteurs locaux. Les tensions ont atteint leur paroxysme en avril, lorsque des hommes armés ont revendiqué des terres, tué l’avocat qui défendait les droits de la communauté et endommagé des biens. Récemment, la police a arrêté trois militants et a lancé des mandats d’arrêt contre plusieurs autres, obligeant leurs familles à se cacher. La société civile a obtenu la libération de deux des militants détenus et demande l’annulation des mandats d’arrêt et la mise en œuvre de mesures visant à garantir la sécurité des défenseurs des droits humains.
Quelle est la source des récentes attaques contre AAV ?
Les attaques les plus récentes, consistant en des appels téléphoniques anonymes menaçant les militants et les dirigeants, remontent à juillet et août 2024, mais s’inscrivent dans une longue guerre d’usure visant à déposséder les agriculteurs de leurs terres. Elles se sont produites dans deux localités du département des Nippes, Abraham et Bon Dos.
Auparavant, le 8 mai, un fonctionnaire de la Direction Générale des Impôts (DGI) s’est rendu à Bon Dos accompagné d’agents des forces de l’ordre pour saisir 58 hectares de terres où les paysans vivent et travaillent depuis des générations. Ils se sont heurtés à l’opposition des résidents locaux menés par l’AAV et l’Association des Producteurs de Lait des Nippes (APROL-Nippes), qui ont réussi à contrecarrer la tentative d’accaparement des terres en organisant des manifestations pacifiques et en faisant appel à la presse locale, aux organisations de défense des droits humains et aux autorités judiciaires.
En réponse à la résistance des agriculteurs, la campagne de harcèlement, d’intimidation et de menaces à l’encontre des membres de la communauté et de ses dirigeants, visant à créer la panique et la peur, s’est intensifiée.
Comment les autorités ont-elles réagi ?
Lorsque l’AAV et l’APROL-Nippes ont fait appel aux autorités locales, celles-ci ont exprimé leur solidarité avec les agriculteurs, les militants à la tête de la résistance et leurs organisations. Mais elles n’ont pris aucune mesure concrète, alors qu’elles sont censées jouer un rôle important en la matière.
Les leaders communautaires ont également rencontré à plusieurs reprises le doyen du tribunal de première instance des Nippes, qui a accepté d’organiser une réunion avec les autres autorités départementales impliquées. Une réunion a eu lieu en août avec la Délégation départementale des Nippes, qui est le représentant direct de l’exécutif dans le département.
Au cours de cette réunion, le délégué a rappelé que, selon la loi, la zone située à moins de 100 mètres de la côte appartient à l’État. C’est vrai, mais cela ne s’applique pas à toutes les plages privatisées du pays. Suite à cette réunion, une campagne de destruction de jardins des paysans et d’abattage d’arbres bien au-delà des 100 mètres carrés de littoral a été entreprise. Il semblerait que ces nouveaux accaparements fassent partie d’un projet gouvernemental, mais il n’y a absolument aucune information à ce sujet.
Quant à la DGI, elle a catégoriquement refusé de rencontrer les paysans.
Pourquoi les défenseurs des droits fonciers sont-ils la cible de la répression ?
Les opérations d’accaparement de terres, en augmentation dans la région des Nippes depuis 2023, impliquent des membres haut placés de la police, la justice et la DGI, des notaires, des avocats, des arpenteurs et des autorités exécutives régionales et nationales. Les défenseurs des droits fonciers sont harcelés, intimidés et menacés pour leur travail de vigilance et de dénonciation des spoliateurs, de la mafia foncière et des autorités complices.
Dès avril 2023, plus de cinq personnes ont été tuées dans le cadre des conflits fonciers, trois personnes sont mises en prison et plusieurs autres vivent à couvert pour se protéger des intimidations, de la violence et de la criminalisation.
L’accaparement des terres bénéficie d’un système judiciaire extraordinairement lent et complice. Il y a plus d’un an, en août 2023, Celito Renelus, militant du Combite Peyizan Abraham (COPA), a été arrêté à Abraham pour avoir protesté contre l’accaparement des terres. Il est toujours en prison à ce jour, sans avoir été condamné. Deux jeunes hommes, fils de militants paysans de COPA, arrêtés le même jour, ont été récemment libérés après plus d’un an en détention préventive.
Les paysans ont besoin d’une plus grande couverture médiatique, d’accompagnement juridique compétent et du soutien des organisations de défense des droits humains.