Élections en Algérie : peu d’enthousiasme pour un résultat acquis d’avance
Le président algérien Abdelmadjid Tebboune a remporté les élections de septembre avec un score stupéfiant de 94,65 % des voix, mais avec un taux de participation très faible. La concurrence était limitée, la date des élections ayant été avancée pour empêcher les opposants de se présenter et de faire campagne. L’élite politique algérienne et la puissante armée du pays ont réprimé l’énergie contestataire qui avait porté Tebboune au pouvoir en 2019. De nombreux militants, journalistes et politiciens de l’opposition ont été emprisonnés, et les organisations de la société civile ainsi que les médias indépendants ont été fermés. Le gouvernement s’en tire grâce à sa faible notoriété internationale et à la volonté de l’Europe de ne rien dire tant que l’Algérie lui fournit le gaz dont elle a besoin.
Le président algérien sortant, Abdelmadjid Tebboune, s’est assuré un second mandat. Il a remporté les élections du 7 septembre avec un score stupéfiant de 94,65% des voix, un chiffre qui suggère davantage un rituel vide de sens plutôt qu’une véritable élection. Mais le fait le plus révélateur est que la plupart des gens sont restés chez eux, ne voyant aucun intérêt à participer à cette mascarade.
L’élection était initialement prévue en décembre, mais Tebboune a surpris tout le monde en l’avançant à septembre. Il a expliqué que cela coïncidait avec le début de l’année scolaire, ce qui était censé augmenter le taux de participation. Cette décision a été controversée : après son annonce, l’expression « Ma fhemna walou » – « on n’a rien compris » – a fait le buzz sur les réseaux sociaux. En raison de la chaleur intense de l’été, peu de personnes étaient disposées à assister aux événements de campagne.
Les candidats potentiels ont eu peu de temps pour recueillir les 50 000 signatures requises auprès des électeurs des différentes provinces. Les autorités électorales ont disqualifié 13 candidats, ne laissant à Tebboune que deux adversaires symboliques. Le terrain avait également été soigneusement préparé par une longue campagne de répression contre la société civile, les médias indépendants et l’opposition politique.
Une révolution avortée
Les événements qui ont porté Tebboune au pouvoir semblent désormais un lointain souvenir. En 2019, un mouvement de protestation dirigé par des jeunes, le Hirak, s’est élevé pour s’opposer à la tentative du président de l’époque d’obtenir un cinquième mandat. Au plus fort des protestations, trois millions de personnes se sont mobilisées, les plus grandes manifestations depuis l’indépendance en 1962. Ils ont obtenu la première partie de ce qu’ils voulaient : le président Abdelaziz Bouteflika s’est retiré.
Les espoirs de changement étaient grands. Mais l’élite politique et le puissant establishment militaire ont freiné l’élan des réformes. L’élite soutenue par l’armée, communément appelée « le pouvoir », n’était pas prête à renoncer à son pouvoir.
Après avoir sacrifié Bouteflika, les dirigeants algériens ont truffé l’élection présidentielle de décembre 2019 avec des candidats issus de l’intérieur du système. Le vainqueur a été Tebboune, un ancien premier ministre de Bouteflika. Les manifestations hebdomadaires du Hirak se sont poursuivies, beaucoup appelant au boycott ; le taux de participation officiel de moins de 40% – un niveau historiquement bas pour une élection présidentielle – et un grand nombre de bulletins nuls indiquaient un niveau élevé de mécontentement.
Tebboune a poursuivi comme s’il avait reçu un mandat fort. En 2020, il a fait adopter des modifications constitutionnelles qui ont élargi les pouvoirs présidentiels et l’ont placé à la tête de toutes les institutions clés. Un référendum pour entériner ces changements a de nouveau donné lieu à un taux de participation extrêmement faible, 23% seulement.
Bien que Tebboune ait initialement soutenu le Hirak du bout des lèvres, le mouvement a continué à faire l’objet d’une répression qui s’est intensifiée en 2021. Le Hirak a refait surface lorsque Tebboune a convoqué des élections législatives anticipées en juin 2021. Les militants ont repris les manifestations de rue qu’ils avaient suspendues pendant la pandémie, et ils se sont mis à fournir des médicaments et des denrées alimentaires de première nécessité. L’appel au boycott a été entendu une fois de plus, et seulement 23% des électeurs ont voté.
L’élection de 2024 est le quatrième scrutin consécutif où la majorité des citoyens a refusé de légitimer le régime par les urnes. Tebboune savait qu’il allait gagner, mais cette fois-ci, il voulait une participation plus élevée pour obtenir une certaine crédibilité. Cela n’a pas été le cas. Le jour des élections, les autorités ont annoncé que 5,6 millions de personnes avaient voté, sur un électorat d’environ 24 millions, soit un taux de participation d’environ 23%. Curieusement, les autorités avaient précédemment déclaré que le taux de participation s’élevait à 48%, un chiffre déjà bas. Cette divergence a conduit Tebboune à se joindre aux deux autres candidats pour critiquer l‘autorité électorale. Celle-ci n’a pas réussi à organiser l’élection incontestée que le régime souhaitait sans aucun doute.
Répression croissante
Lorsque les manifestations ont repris en 2021, les autorités ont répondu par la violence des forces de sécurité et des arrestations de plus en plus nombreuses. En juin 2021, un décret présidentiel a étendu la définition du terrorisme dans le code pénal à tout acte visant à changer le régime politique par des « moyens non constitutionnels », ce qui a permis au gouvernement de classer les revendications des manifestants dans la catégorie du terrorisme. Cette mesure vient s’ajouter à un large éventail de lois qui permettent aux autorités de criminaliser la dissidence, y compris en ligne.
Un an après les élections de juin 2021, au moins 266 militants et manifestants du Hirak seraient en prison. Nombre d’entre eux y sont toujours. Les autorités empêchent désormais les manifestations en exigeant une notification préalable, qu’elles utilisent pour refuser les autorisations.
Le terrain avait été soigneusement préparé par une longue campagne de répression contre la société civile, les médias indépendants et l’opposition politique.
Les autorités ont fermé des organisations clés impliquées dans les manifestations, notamment des groupes de la société civile et des partis politiques. La Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme (LADDH), la plus ancienne organisation de défense des droits humains du pays, a été dissoute en 2022, après avoir participé à l’examen de l’Algérie par le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies. Cette dissolution semble être une riposte à son travail de dénonciation des violations des droits humains au niveau mondial. L’État limite également fortement l’accès de la société civile aux financements internationaux.
Plusieurs médias indépendants ont été contraints de fermer, ou bien se sont auto-dissous pour se protéger, et des journalistes ont été criminalisés. Le cas le plus célèbre est celui d’Ishane El Khadi, fondateur de la radio en ligne Radio M et du site d’information Maghreb Emergent, qui est emprisonné depuis décembre 2022. Il a été condamné pour avoir reçu des fonds étrangers à des fins de « propagande politique » et des fonds qui pourraient « nuire à la sécurité de l’État ». Lorsqu’il a fait appel de sa condamnation, le tribunal l’a portée de cinq à sept ans, dont deux avec sursis. Le tribunal a également ordonné la dissolution de sa société de médias. Un sort encore plus cruel a failli être réservé à Abdou Semmer, journaliste et militant de l’opposition en exil, qui a survécu l’année dernière à une tentative d’assassinat.
La répression ne s’est pas relâchée avant les élections. En juillet, 11 figures de l’opposition ont écrit une lettre ouverte condamnant l’absence de véritable démocratie, affirmant que le déni des libertés civiques rendait impossible la tenue d’un scrutin légitime.
L’État n’a cessé de leur donner raison. En août, il a arrêté une soixantaine de militants, pour la plupart du parti Rassemblement pour la culture et la démocratie. Le même mois, un juge a ordonné la mise sous contrôle judiciaire de Fethi Ghares, coordinateur national du parti Mouvement démocratique et social, et de son épouse, Messouda Cheballah, pour des accusations d’insulte au président et de diffusion de désinformation et d’incitation à la haine. Deux journalistes ont également été arrêtés en août pour avoir publié une vidéo montrant des femmes se plaignant de leur traitement par des représentants du gouvernement lors d’un événement officiel. Juste avant les élections, le gouvernement a annoncé qu’il avait arrêté sept personnes, dont quatre qui, selon lui, étaient des espions marocains.
La pression internationale est nécessaire
L’Algérie est le plus grand pays d’Afrique en termes de superficie, mais hormis le différend qui l’oppose depuis longtemps au Maroc voisin au sujet du territoire contesté du Sahara occidental, elle fait rarement parler d’elle sur la scène internationale.
Cela n’a pas toujours été le cas. Dans les années 1990, l’Algérie a traversé une guerre civile brutale causée par une insurrection djihadiste. L’armée a finalement triomphé, consolidant la position qu’elle occupe encore aujourd’hui. Les répercussions actuelles de cette période se font sentir à travers la vigueur des lois antiterroristes et la caractérisation des dissidents comme des terroristes, des extrémistes ou des agents d’influence étrangère. Mais depuis lors, l’Algérie a cultivé un profil bas, se forgeant une image de pays stable. Tebboune s’est positionné comme un correctif nécessaire pour rétablir le calme et remettre le pays sur les rails.
Il faut rappeler que l’Algérie est un important producteur de pétrole et de gaz. Tebboune a eu de la chance à cet égard. Une grande partie des exportations de gaz algérien est destinée aux principaux pays européens, dont le nombre a augmenté au fur et à mesure qu’ils tentaient de se diversifier et de s’affranchir de leur longue dépendance à l’égard de la Russie. Par exemple, en 2022, l’Italie a signé une série d’accords pour recevoir du gaz algérien afin de réduire ses importations russes. Dans ce contexte, les États européens n’ont pas l’intention de faire des vagues. Ils sont prêts à accepter la façade démocratique de l’Algérie sans remettre en question sa réalité.
Les revenus du gaz alimentent la croissance économique et financent les programmes sociaux du gouvernement, bien que l’inflation ait augmenté et que le chômage reste élevé, en particulier chez les jeunes, ce qui pousse beaucoup d’entre eux à partir. La fin du boom gazier entraînera un ralentissement économique et probablement une reprise des manifestations. Mais pour l’instant, le gouvernement algérien s’en sort en mettant soigneusement en scène une pseudo-démocratie et une stabilité, tout en réprimant les revendications pour une véritable démocratie et le respect des droits humains.
NOS APPELS À L’ACTION
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Le gouvernement devrait s’engager à dialoguer avec la société civile et s’abstenir de faire l’amalgame entre dissidence et terrorisme.
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Les partenaires internationaux de l’Algérie devraient encourager le gouvernement à libérer les personnes détenues pour avoir exprimé leur désaccord.
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La société civile internationale doit attirer l’attention sur les violations des droits en Algérie et ne pas permettre à son gouvernement d’échapper à la surveillance de la communauté internationale.
Pour des interviews ou de plus amples informations, veuillez contacter research@civicus.org
Photo de couverture par Billel Bensalem/APP/NurPhoto via Getty Images