La COP26 s’est déroulée en novembre avec peu d’espace dédié à la société civile. Les États et le secteur privé ont présenté une série d’accords non contraignants et volontaires qui promettaient beaucoup dans les titres mais offraient peu dans les détails. L’édulcoration de l’accord final a montré l’influence persistante de l’industrie des combustibles fossiles et l’insuffisance du financement du climat pour les pays du Sud. Les plans de réduction des émissions n’ont pas permis de limiter le réchauffement climatique à l’augmentation de 1,5 degré promise par l’accord de Paris. Cependant, l’engagement pris de développer des plans plus solides d’ici la COP27 ouvre la voie à une année de pression de la part de la société civile, pour des engagements plus en phase avec l’ampleur de la crise.

L’expression « réduction progressive » est étrange et rarement utilisée, contrairement à l’expression « suppression progressive ». C’est pourtant ce que le document final du sommet sur le changement climatique COP26 a fini par énoncer. Une intervention de dernière minute de la délégation indienne, soutenue par la Chine, a édulcoré ce qui était presque un engagement à éliminer progressivement l’utilisation du charbon, le combustible fossile le plus polluant.

Pour de nombreux membres de la société civile, cette atténuation de dernière minute de ce qui aurait dû être un engagement historique a été l’illustration d’un sommet bien en deçà de l’ambition nécessaire pour répondre à la crise climatique. La COP26, qui s’est tenue à Glasgow, au Royaume-Uni, a été marquée par un déluge d’annonces faisant la une des journaux, qui semblaient bonnes mais ont déçu dans les détails, et par la large exclusion des voix qui auraient dû être les plus entendues : les communautés en première ligne des impacts climatiques, et les groupes menant le combat pour la justice climatique.

VERS LA COP26: DES VOIX DE LA SOCIÉTÉ CIVILE DU MONDE ENTIER

Une rencontre exclusive et élitiste

Le gouvernement britannique avait promis qu’il s’agirait de la Conférence des Parties la plus inclusive de tous les temps. Mais ce battage médiatique a fait place à une réalité d’exclusion. Avant même que le sommet ne commence, il était clair que de nombreuses personnes seraient dissuadées d’y participer en raison des règles liées à la COVID-19 du Royaume-Uni, en constante évolution, du manque d’accès aux vaccins, d’un régime de visas incroyablement strict découlant de la politique d’« environnement hostile » du Royaume-Uni à l’égard des migrants, et du simple coût du voyage et de l’hébergement.

LES VOIX DE LA LIGNE DE FRONT

Pendant la COP26, les espaces pour une participation effective de la société civile ont été limités en raison de plusieurs facteurs, principalement ceux liés à la pandémie de COVID-19. En raison des mesures de sécurité visant à contenir la propagation du virus, les représentants de la société civile n’ont pas pu se rendre au Royaume-Uni en raison des longs délais d’attente pour l’obtention d’un visa, des périodes de quarantaine obligatoires et des coûts d’hébergement élevés. En outre, les membres de la société civile qui ont pu assister à la COP26 ont été empêchés d’accéder à certains espaces stratégiques de plaidoyer, tels que les salles plénières. Ces restrictions étaient sans précédent et ont suscité le mécontentement de plusieurs représentants de la société civile, qui ont vu leur droit à une participation effective violé.

Juan Auz, cofondateur, Terra Mater, Équateur

Aux points les plus éloignés de Glasgow, les îles du Pacifique, il s’agissait d’obstacles quasi impossibles à surmonter, non seulement pour la société civile mais aussi pour de multiples délégations gouvernementales. Ce sont ces délégations qui font normalement pression pour obtenir les engagements les plus ambitieux. Leur absence signifiait que les voix des populations des régions du monde les plus touchées par le changement climatique, des pays dont l’existence même est en jeu, ne seraient pas entendues.

Le gouvernement britannique s’est engagé à fournir des vaccins et à couvrir les frais des personnes contraintes à la quarantaine à leur arrivée, mais cela ne s’appliquait qu’aux délégations gouvernementales. Pour la société civile, les coûts supplémentaires liés à la COVID-19 constituaient un obstacle supplémentaire important. La grande inégalité mondiale en matière de vaccins est à l’image de l’inégalité climatique : les pays où les gens se sont le plus vu refuser l’accès aux vaccins sont aussi les moins à même de faire face au changement climatique ; les pays riches qui ont accumulé les vaccins ont le plus de ressources pour protéger leurs citoyens des pires impacts de la crise climatique.

Lorsque les réunions ont commencé, de nombreuses personnes étaient encore bloquées à l’extérieur du bâtiment, de longues files d’attente se formant devant l’unique entrée. Le ministre israélien de l’énergie, qui se déplace en fauteuil roulant, n’a pas pu entrer. Les personnes qui ont persévéré pour se rendre à Glasgow, malgré les coûts et les désagréments, ont été invitées à regarder les événements en ligne, mais beaucoup ont eu des difficultés à faire fonctionner la plateforme en ligne.

Même lorsque les gens ont pu entrer dans le bâtiment, la société civile n’a pas été autorisée à accéder aux pièces clés. Pour des raisons liées à la pandémie, le nombre de participants était limité. La société civile a été exclue des salles de négociation et n’a pas pu accéder aux sessions plénières, même lorsque celles-ci étaient peu fréquentées par les représentants des États. Comme pour les réunions des Nations unies à New York, il semble que lorsque les places sont limitées, c’est toujours la société civile qui est exclue. Même les groupes officiellement reconnus comme faisant partie du processus de la COP se sont plaints d’être exclus.

Selon des rapports, de jeunes militants pour le climat ont été expulsés de certains événements, les Noirs et autres minorités ethniques étant particulièrement visés, ce qui laisse penser que le profilage racial est en jeu. La société civile considère la crise climatique comme une question de justice sociale, liée à de multiples formes d’inégalité et d’exclusion. Il semble que les organisateurs de la réunion ne partageaient pas ce point de vue – et ne voulaient pas en entendre parler.

Contrastant violemment avec l’exclusion de la société civile, la surreprésentation de délégués du secteur des combustibles fossiles aux sessions de la COP26, occupés à promouvoir l’écoblanchiment et à faire de leur mieux pour faire pression en vue d’imposer le moins de limites possible à leurs activités néfastes. Des recherches menées par Global Witness ont révélé que 503 délégués du secteur des combustibles fossiles étaient présents à la COP26, soit bien plus que toute délégation gouvernementale. Les représentants du secteur des combustibles fossiles faisaient partie des délégations de 27 pays, dont la Chine et la Russie. Voilà la source du problème, ces derniers étant étroitement impliqués à un sommet censé s’attaquer au mal dont ils représentent la cause.

Cette relation confortable contraste avec l’expérience de la société civile dans de nombreux pays : loin d’être invitée au sein des délégations gouvernementales, elle est prise pour cible par les États. Partout dans le monde, les manifestations en faveur du climat sont criminalisées et les défenseurs des droits environnementaux sont victimes de violences.

Il s’agissait de bien plus que de simples questions logistiques. Les personnes présentes dans la salle ont leur importance. Un sommet élitiste, avec une surreprésentation d’hommes blancs d’âge moyen issus de pays riches, n’est guère susceptible de prendre des décisions qui remettent en cause l’injustice environnementale, raciale, sexuelle et sociale et qui donnent la priorité au bien-être des générations futures.

LES VOIX DE LA LIGNE DE FRONT

Je pense que c’était un exemple direct de l’exclusion et de l’élitisme de ces forums. Nous avons vu très peu d’inclusion significative des groupes d’intérêt ayant des enjeux directs. J’entends par là qu’ils n’ont pas pris part aux négociations des tables rondes. Pour la 26e fois, nous avons constaté que notre système a besoin d’un changement systémique transformateur, et pas seulement de solutions techniques rapides telles que celles proposées. Dans une période comme celle-ci, il est très important que nous nous organisions et que nous nous connections plus que jamais à nos systèmes écologiques, que ce soit au niveau individuel, interpersonnel ou organisationnel. Cela signifie que nous devons repenser et nous ouvrir à des types de connaissances qui n’ont jamais été réunies auparavant.

Jessica Dercontée, co-organisatrice, Collectif contre le racisme environnemental, Danemark

S’engager face à l’indifférence officielle

Une grande partie de la société civile qui a tenté d’influencer la COP26 partageait un sentiment commun : elle ne croyait pas que la réunion pourrait déboucher sur le changement requis, mais estimait nécessaire d’essayer de l’influencer malgré tout, car l’ampleur de la crise l’obligeait à tout tenter. Malgré les obstacles, la société civile a tenté à la fois de s’engager et de proposer des alternatives.

La Coalition COP26 des groupes de la société civile s’est réunie pour organiser le Sommet des peuples pour la justice climatique, représentant des personnes et des idées qui ont été largement exclues de la COP26. Des peuples autochtones, des groupes de jeunes, des groupes de défense des droits des migrants et des syndicats figuraient parmi les participants, proposant des solutions radicales qui tranchent avec le sophisme intentionnel qui peut entourer des concepts tels que le zéro net, critiquant les systèmes économiques qui alimentent l’inégalité et privilégient l’extraction à la conservation.

Des représentants de plus de 500 groupes de parents ont travaillé ensemble pour présenter une demande visant à mettre fin au financement des combustibles fossiles et à la pollution atmosphérique qui nuit aux enfants ; ils se sont ensuite joints aux 10 000 personnes qui ont manifesté lors de la journée baptisée « Youth and Public Empowerment Day » (Journée de la jeunesse et de la responsabilisation des citoyens). Lorsque la journée de la COP26 consacrée aux transports s’est concentrée presque exclusivement sur les voitures électriques, a prétendu que l’aviation n’était pas un problème et a ignoré les transports publics et le vélo, les manifestants ont fait sonner des sonnettes de vélos. Le dernier jour de la COP26, des centaines de personnes de la société civile sont sorties en portant des rubans rouges pour signaler les lignes rouges que les négociations avaient franchies.

La Journée mondiale pour la justice climatique, le 6 novembre, a été marquée par des manifestations en faveur de la justice climatique sur tous les continents. À Glasgow, jusqu’à 100 000 personnes ont défilé, sous la conduite d’un groupe autochtone du Canada.

Les manifestations ne sont pas toujours des espaces sûrs. Vingt et une personnes ont été arrêtées lors d’une manifestation de blocage de pont organisée par le groupe Scientist Rebellion. Des partisans d’Extinction Rebellion (XR) ont déclaré avoir été suivis à plusieurs reprises par la police. Les manifestants ont été encerclés par un cordon de police et se sont vus refuser l’accès à des produits de base tels que l’eau, la nourriture et les médicaments. Un rapport de Netpol, le Réseau pour le contrôle de la police, a conclu qu’il y avait eu des abus systématiques du pouvoir de la police pendant la COP26, y compris des opérations de police discriminatoires, de la surveillance et du harcèlement, et des tentatives de dissimulation des abus.

Le Royaume-Uni est en train d’adopter une loi visant à restreindre davantage les manifestations, en partie en réponse aux manifestations à grande échelle de XR. Peu de temps après la fin de la COP26, neuf activistes du groupe Insulate Britain ont été emprisonnés à la suite de manifestations comprenant des barrages routiers. On ne peut pas dire que ce type d’actions soit digne d’un leader du climat.

Le diable dans les détails au milieu d’une avalanche d’annonces

Cette COP élitiste a dû établir un record pour sa production de déclarations. Les annonces se sont succédé dans les premiers jours de la COP26. L’intention semblait être de donner un ton résolument optimiste, en communiquant dès le départ que la COP26 était un succès. Le désespoir du gouvernement britannique de se présenter comme un leader mondial post-Brexit était palpable, même si le Premier ministre Boris Johnson a un passé de négationniste du climat, et que lui-même ainsi que d’autres ministres importants ont été accusés de ne pas s’être suffisamment engagés dans les processus clés avant le sommet.

Prises dans leur ensemble, ces annonces signalent certains progrès, mais elles contiennent toutes des omissions et des lacunes importantes, ce qui les rend moins ambitieuses qu’il n’y paraît.

Parmi la ruée d’annonces, un nouvel accord visant à prévenir la déforestation, soutenu par des États qui représentent 85 % des forêts du monde. Parmi ceux-ci, on peut noter la présence du Brésil, dont le président Jair Bolsonaro s’est fait le champion de la destruction de l’Amazonie, et de la Chine, accusée par ailleurs de faire preuve de peu d’ambition : ses engagements lors de la COP26 ne contenaient rien de nouveau et son président tout-puissant, Xi Jinping, tout comme le président russe Vladimir Poutine, ne s’est pas présenté à Glasgow.

Mais l’accord a à peine été annoncé qu’il a commencé à s’effilocher. L’Indonésie, qui abrite la troisième plus grande forêt tropicale du monde, a signé l’accord, mais son ministre de l’environnement l’a rapidement qualifié d’« injuste » et a déclaré que la croissance économique devait passer avant tout.

Une autre annonce qui a fait la une des journaux est l’engagement du secteur privé, avec plus de 450 institutions financières dans 45 pays, à orienter ses investissements dans une transition vers le zéro carbone. Cependant, les militants n’ont pas manqué de souligner que nombre de ces institutions financières continuent de financer des projets liés aux combustibles fossiles. Parmi les banques concernées figurent celles qui ont réussi à s’opposer à la pression exercée par l’Agence internationale de l’énergie afin qu’elles cessent immédiatement tout financement de l’exploration du charbon, du gaz et du pétrole.

LES VOIX DE LA LIGNE DE FRONT

Une fois de plus, lors de la COP26, les États ont montré leur totale inefficacité à agir en conformité avec leurs propres décisions. J’ai déclaré à plus d’une occasion que 2030 était à portée de main et aujourd’hui, nous ne sommes qu’à huit ans de cette date et nous discutons encore des mesures les plus efficaces pour atteindre les objectifs fixés à cette date.

On investit beaucoup plus d’argent pour détruire la planète que pour la sauver. C’est le résultat des actions et décisions des États en faveur d’un capitalisme sauvage qui détruit la planète par son extractivisme prédateur de la vie.

Je pense que tant que ces forums ne discuteront pas de sanctions à l’égard des États qui ne respectent pas les accords, ou qui ne signent même pas les déclarations, il n’y aura pas de résultats concrets.

Ruth Alipaz Cuqui, coordinatrice générale, Coordination nationale pour la défense des territoires paysans indigènes et des zones protégées, Bolivie

L’accord conclu par les 105 pays pour réduire les émissions de méthane de 30 % d’ici à 2030 est peut-être plus encourageant. Le méthane est un gaz à effet de serre particulièrement puissant, mais aussi le plus rapide à se disperser, ce qui signifie qu’une action dans ce domaine peut avoir un impact rapide. L’accord a été conclu par le président des États-Unis, Joe Biden, qui a heureusement ramené dans le rang le deuxième plus grand émetteur de gaz à effet de serre. M. Biden a également signalé un revirement du déni climatique de M. Trump en rejoignant la High Ambition Coalition, le groupe d’États qui s’efforcent de limiter le réchauffement à 1,5 degré. Mais l’accord sur le méthane ne comprend pas certains grands émetteurs de ce gaz, dont l’Australie, la Chine, l’Inde et la Russie.

Plus de 20 pays et banques d’investissement se sont engagés à mettre fin au financement de projets internationaux liés aux combustibles fossiles, mais la Chine et le Japon, deux des principaux bailleurs de fonds, ne se sont pas joints à eux. De même, plus de 40 pays ont signé un pacte visant à éliminer progressivement le charbon, y compris certains gros utilisateurs de ce combustible, comme la Corée du Sud, l’Ukraine et le Vietnam. Mais, comme on pouvait s’y attendre, certains noms clés manquaient à l’appel, dont beaucoup de récidivistes, notamment l’Australie, la Chine, l’Inde, l’Afrique du Sud et les États-Unis.

La nature vague de l’engagement relatif au charbon a permis à la Pologne, qui produit 70 % de son électricité à partir du charbon, de signer l’accord mais de se classer ensuite parmi les pays en développement, et de déclarer son intention d’utiliser le charbon jusqu’en 2049, soit bien au-delà de la date d’expiration de l’Accord de Paris, 2030, date à partir de laquelle les experts estiment que l’utilisation du charbon doit cesser pour limiter le réchauffement à 1,5 degré.

La raison de ces accords annexes est compréhensible. Ils communiquent de l’ambition, ce qui n’est peut-être pas une mauvaise chose au début d’un sommet pour essayer de générer un élan vers l’accord final, bien que l’on puisse se demander si cela a fonctionné dans ce cas. Ils signalent également une frustration à l’égard des processus multilatéraux où les accords doivent être obtenus par consensus. Ceux-ci sont ensuite bloqués par des États puissants qui résistent au changement. Si la Russie, par exemple, veut bloquer un accord ambitieux, il est logique de conclure un accord sans elle et d’amener le plus grand nombre possible d’États à y adhérer.

Mais le défi réside dans le fait que ces accords sont volontaires par nature et manquent de mécanismes d’application. L’une des raisons pour lesquelles la société civile investit de l’énergie dans les processus multilatéraux est que nous voulons voir un système international fondé sur des règles, où les États respectent les engagements qu’ils ont pris, doivent régulièrement rendre compte des progrès accomplis et peuvent être tenus pour responsables lorsqu’ils ne joignent pas le geste à la parole.

L’espace pour la participation de la société civile aux processus multilatéraux est souvent de mauvaise qualité, comme le montre l’expérience de la COP26, mais il y a encore moins d’espace – et souvent aucun espace – pour que la société civile joue un rôle de responsabilité dans les accords conclus en dehors du système multilatéral formel. Il n’y a pas non plus d’espace pour que la société civile fasse pression afin que les accords soient plus ambitieux.

Dans ces accords annexes, on a beaucoup misé sur le rôle des entreprises, mais le secteur privé est réputé pour sa résistance à l’examen de la société civile. Dans de nombreux pays, le secteur privé est une source directe d’attaques contre les activistes climatiques et environnementaux.

Tout ce qui offre la possibilité de limiter le réchauffement climatique doit être porteur d’espoir. Mais quels seront les progrès réalisés si la société civile n’est pas là pour faire pression ?

Tant de choses restent à faire

Le gouvernement indien s’est attiré l’opprobre pour avoir insisté à la dernière minute sur la « réduction progressive » plutôt que la « suppression progressive ». Avant cela, il avait été reconnu comme l’un des États ayant le plus changé de cap lors de la COP26.

Dans le cadre de l’Accord de Paris, les États étaient tenus de soumettre de nouveaux plans plus ambitieux pour réduire les émissions de gaz à effet de serre – les contributions déterminées au niveau national (CDN) – avant la COP26. Certains États clés, dont le Brésil, l’Indonésie, le Mexique et la Russie, ont violé l’Accord de Paris en soumettant des CDN qui ne fixaient aucun nouvel objectif. Toutefois, au début du sommet, l’Inde s’est engagée à atteindre un niveau zéro net d’ici à 2070, ce qui en fait la dernière grande économie à s’engager dans cette voie. 2070 est une échéance tardive, mais elle reflète le faible point de départ de cet immense pays. Fait encourageant, l’Inde s’est engagée à produire 50 % d’énergie renouvelable d’ici 2030, grâce à une vaste expansion du secteur de l’énergie solaire. Le gouvernement indien doit maintenant faire face à une pression soutenue de la part de la société civile pour publier les détails de son plan et le mettre en œuvre.

En comparaison, l’offre de l’Australie était si timide que le pays a quitté la COP26 en étant la risée de tous. L’Australie est l’un des plus grands émetteurs par habitant au monde et présente les émissions de charbon les plus élevées, mais son dernier plan ne contient aucun nouvel engagement à apporter des améliorations d’ici à la date buttoir de 2030. Plutôt que d’éliminer progressivement le charbon ou de pénaliser les émetteurs, le plan australien est rempli d’hypothèses douteuses concernant des technologies non éprouvées et difficiles à mettre en œuvre, comme le captage du carbone et le développement de l’hydrogène. L’exposition de l’Australie dans le pavillon de la COP26 était même sponsorisée de manière ostensible par la compagnie de combustibles fossiles Santos. La COP26 a permis de mettre en lumière, au niveau international, la prétention scandaleuse du gouvernement australien à disposer d’un plan climatique sérieux.

Ces exemples ont montré l’un des avantages des réunions telles que la COP26 : les gouvernements peuvent améliorer leurs engagements parce qu’ils ne veulent pas être embarrassés, et lorsqu’ils n’y parviennent pas, l’embarras survient en temps voulu, permettant une pression politique interne – du moins dans les pays où l’espace civique est suffisamment ouvert pour permettre aux gens de se mobiliser.

LES VOIX DE LA LIGNE DE FRONT

La COP26 a franchi une nouvelle étape pour combler le fossé qui nous sépare de l’objectif de 1,5 degré, même si ce fossé n’a pas encore été comblé par des engagements crédibles pris par les parties à la convention. Des engagements plus ambitieux, tant de la part des pays industrialisés que des économies émergentes, doivent être pris dans les années à venir. L’inclusion dans la déclaration de Glasgow d’une disposition visant à réduire progressivement le charbon, sans toutefois l’éliminer, a constitué une étape historique, bien que trop prudente, pour passer des seuls objectifs et calendriers aux politiques et mesures. Des politiques concrètes sur d’autres combustibles fossiles comme le pétrole et le gaz doivent suivre rapidement.

Glasgow a montré que l’Accord de Paris fonctionne, mais que la preuve de son efficacité réside dans la mise en œuvre, qui doit se faire au niveau national, et qui nécessitera des engagements financiers supplémentaires, notamment par le biais des mécanismes de financement de la Convention.

Sascha Müller-Kraenner, directeur exécutif, Environmental Action Germany (Deutsche Umwelthilfe)

Mais il y a encore beaucoup de questions qui n’ont pas été abordées ou réglées lors de la COP26. La question croissante de la migration climatique – les mouvements de population en réponse à la crise climatique – reste largement ignorée, ce qui témoigne d’une déconnexion entre les différents agendas internationaux. Des propositions ambitieuses de la société civile, telles qu’un traité de non-prolifération des combustibles fossiles – un appel à un nouvel accord pour éliminer progressivement les combustibles fossiles, soutenu par de nombreux membres du mouvement climatique – n’ont pas été mises sur la table.

Si la COP26 a finalement adopté des règles sur les marchés du carbone, pour de nombreux militants, il ne s’agit guère d’un progrès : les marchés du carbone pourraient bien être un moyen d’éviter toute responsabilité, en remplaçant l’élimination des combustibles fossiles par la compensation, et en perpétuant la marchandisation des terres, d’une manière qui continue de nuire aux peuples autochtones et aux défenseurs de l’environnement.

Le financement du climat, c’est-à-dire l’argent nécessaire pour aider les pays du Sud à réduire leurs émissions et à s’adapter au changement climatique, n’est toujours pas assuré. L’objectif mondial fixé lors de la COP15, qui consistait à fournir 100 milliards de dollars par an d’ici à 2020, n’a pas été atteint, même si ce montant symbolique est probablement bien en deçà des besoins réels. Selon les dernières estimations, 80 milliards de dollars sont fournis, et l’objectif de 100 milliards de dollars a été repoussé à 2023.

Ayant réduit le financement de l’aide, le gouvernement britannique, en tant que leader du sommet, n’était guère en mesure d’exiger plus d’ambition. Mais l’incapacité à atteindre cet objectif était une justification que l’Inde pouvait invoquer pour justifier son insistance à édulcorer l’accord : comment demander aux pays du Sud d’être ambitieux alors que les financements ne le sont pas ?

La destination de l’argent a également son importance. Jusqu’à présent, la majeure partie des fonds alloués à la lutte contre le changement climatique a été consacrée à l’atténuation des effets du changement climatique, c’est-à-dire à la réduction des émissions, et une grande partie de ces fonds a servi à financer le passage aux énergies renouvelables, qui offrent un potentiel de retour sur investissement. L’adaptation, c’est-à-dire les fonds permettant aux pays du Sud de développer des infrastructures pour s’adapter aux impacts climatiques tels que les sécheresses, les inondations et les incendies de forêt, a été beaucoup moins financée. La situation a quelque peu évolué lors de la COP26, mais pas dans le sens de la répartition 50/50 réclamée par de nombreux pays du Sud.

La question du financement des « pertes et dommages », c’est-à-dire des compensations pour les impacts du changement climatique subis par les pays du Sud, n’est toujours pas abordée. Les pays du Sud demandent depuis longtemps que la compensation fasse partie du financement du climat. Pour les pays du Nord, cela se rapproche dangereusement des réparations, un sujet qu’ils ont longtemps refusé d’aborder, de peur d’ouvrir un débat sur les réparations pour les dégâts causés par le colonialisme. L’annulation de la dette pour libérer des financements semble être un sujet tout aussi tabou. Il n’y a pas eu de progrès sur les pertes et dommages, seulement une promesse de poursuivre le dialogue.

Le passage de dernière minute de la notion de « suppression progressive » à celle de « réduction progressive » n’a pas été la seule dilution de l’accord final, connu sous le nom de Pacte climatique de Glasgow. L’engagement d’accélérer l’élimination progressive des subventions aux combustibles fossiles a été nuancé par l’ajout du mot « inefficace », un adjectif qui donne aux États la possibilité de ne rien faire, s’ils estiment que ce qu’ils font est efficace. Un qualificatif similaire concernant la réduction progressive de la production d’électricité à partir de charbon « à l’état brut » offre aux États une autre échappatoire, leur permettant d’utiliser des technologies douteuses et de prétendre qu’ils utilisent en quelque sorte du charbon « propre ».

Chose ridicule, lors de la 26e Conférence des Parties, même ces faibles clauses ont représenté une sorte de progrès, car c’était la première fois que les combustibles fossiles étaient mentionnés dans un accord final de la Conférence des Parties. Le fait que cela ait pris autant de temps témoigne de l’extraordinaire pouvoir de lobbying de l’industrie des combustibles fossiles.

Il est temps de passer à l’action

En fin de compte, la COP26 n’a pas constitué une avancée décisive, comme on l’avait annoncé. La déception de nombreux militants du climat était réelle et compréhensible. Leur frustration face à l’immense fossé entre cette crise existentielle et le lent processus de la diplomatie internationale, où chaque mot est négocié, suggère non pas que les militants du climat doivent tempérer leurs attentes, comme on l’a fait remarquer avec condescendance, mais que le monde doit trouver des moyens plus rapides de répondre aux crises.

Le multilatéralisme élitiste qui exclut les personnes les plus touchées par la crise n’ira jamais assez loin. Mais l’espoir est né des millions de personnes qui, dans le monde entier, prennent le changement climatique au sérieux et se mobilisent pour exiger des mesures. Les sondages montrent régulièrement que les gens pensent que le changement climatique est le problème majeur de notre époque. Les jeunes et les moins jeunes, même dans les pays où les politiciens hostiles au climat ont pris le pouvoir, soutiennent les énergies renouvelables et la conservation des forêts. Les gens ont une longueur d’avance sur les gouvernements et le secteur privé.

L’espoir vient des mouvements intersectionnels qui relient les demandes d’action climatique à celles des droits des femmes, de la justice raciale, des droits des autochtones, des droits du travail et des droits des migrants : du type de solidarité radicale qui a été exclue de la COP26 mais qui a été vue dans les rues de Glasgow.

L’opportunité dépendra de ce qui se passera ensuite. La prétention ténue du gouvernement britannique à avoir maintenu à 1,5 degré repose sur un autre élément du Pacte de Glasgow pour le climat : les CDN soumis pour la COP26 ne vont pas assez loin – les plans actuels de réduction des émissions d’ici 2030 sont susceptibles de conduire à un réchauffement de 2,4 degrés d’ici la fin du siècle – d’ici à fin 2022, les CDN devraient être renforcées pour établir des plans jusqu’en 2030 compatibles avec une augmentation de 1,5 degré.

D’une certaine manière, il semble que l’ambition ait été repoussée d’une année supplémentaire, à la COP27 en Égypte, ce qui fait perdre encore plus de temps. Pour que le réchauffement soit limité à 1,5 degré, il faut que tout se passe bien. L’expérience passée ne permet pas d’envisager un scénario aussi optimiste. On peut s’attendre à ce que, livrés à eux-mêmes, les États continuent à prendre des mesures tièdes tout au mieux, à ce que le financement reste insuffisant et à ce que la puissance de l’industrie des combustibles fossiles continue à diluer même les idées inadaptées qui sont avancées.

C’est à la société civile qu’il revient de remettre en cause cette situation, et la période précédant la COP27 ouvre une brèche. La société civile a maintenant un an pour exercer toute la pression possible afin d’exiger que les CDN répondent aux besoins. Ce ne sera pas facile. Les nombreuses restrictions que les États imposent à l’espace de mobilisation rendent la tâche plus difficile. Il est peu probable que la société civile soit autorisée à s’organiser convenablement en Égypte, un pays où l’espace civique est fermé, pendant la COP27. Les processus de la COP doivent tenir compte de l’espace civique et reconnaître qu’un espace civique ouvert pour permettre la mobilisation climatique est un élément essentiel pour accélérer le progrès.

Mais lorsque l’espace le permet, il faut que les gouvernements soient montrés du doigt, embarrassés et ridiculises pour leur manque d’ambition. Il faut leur présenter des solutions viables à la crise climatique, soutenues par de larges coalitions sociales. L’emprise mortelle de l’industrie des combustibles fossiles sur le débat climatique doit être dénoncée et affaiblie, notamment par le biais d’actions directes non violentes, et l’écoblanchiment doit être désavoué.

D’ici à la COP27, il est temps de se battre. Il est temps de se mobiliser comme si nos vies en dépendaient. Car c’est le cas.

NOS APPELS À L’ACTION

  • Les États devraient travailler avec la société civile pour élaborer de nouveaux plans ambitieux visant à réduire les émissions d’ici à 2030, à temps pour la COP27.
  • Les États doivent créer un espace pour l’action climatique, y compris les manifestations pour le climat – et le gouvernement britannique, en tant que président du processus de la COP jusqu’à la COP27, doit montrer l’exemple.
  • La société civile doit continuer à construire des coalitions sociales larges et intersectionnelles pour exiger des engagements climatiques beaucoup plus ambitieux lors de la COP27.

Photo de couverture par Peter Summers/Getty Images